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UN PARANORMAL DEVENU MENTAL

Kim Lavack Paquin
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UNE HISTOIRE À DORMIR DEBOUT

De la combustion instantanée aux mutilations animales, des sociétés secrètes sodomisant Satan aux manifestations de poltergeist, sans oublier les récits d’extraterrestres d’hier à aujourd’hui, on raffole de ces histoires. Que ce soit par curiosité morbide du ridicule, par simple passe-temps de l’esprit ou par croyance profonde qu’il se passe des choses, force est d’admettre que le sujet titille et qu’il réveille chez plusieurs d’entre nous la tentation ancestrale d’y croire. 

Ça fait 20 ans que SUMMUM aime vous en parler et, au cours de cette période, le monde du paranormal a évolué drastiquement. Ce qui était, il n’y a pas si longtemps, réservé aux confidences est devenu raconté au grand jour. Ce qui était pour le fun est devenu très sérieux. Pour certains, on dirait qu’on est revenu 20 000 ans en arrière. Pourquoi? Pour mieux le comprendre, il serait bon de se rappeler le contexte des premiers hommes qui ont cherché à expliquer l’inexplicable.

Ça fait 20 ans que SUMMUM aime vous en parler et, au cours de cette période, le monde du paranormal a évolué drastiquement.

LES MILLE ET UNE NUITS DE NOS ANCÊTRES

Depuis la nuit des temps et que le monde est monde, on aime se raconter toutes sortes d’histoires à dormir debout. Ça fait passer le temps d’une longue veillée, bien enrobé dans une peau d’auroch fraîchement débité, avec un petit verre de fermentation alcoolisée à la main. Relater devant son petit groupe une simple histoire de chasse ou une joke de fesse passe encore, mais trouver les mots justes pour raconter l’inexplicable est une autre paire de manches. Celui qui possédait ce talent, avec les mots justes, l’imagination, les bonnes simagrées, était bien souvent aussi un petit malin. Si le commun des mortels a tendance à exagérer une simple histoire de pêche, imagine-toi ce qu’un petit malin de même a pu inventer pour expliquer la première éclipse solaire. Surtout que, parfois, c’était aussi lui le « pusher » de la gang.

Arrive une comète.

Pourquoi ne pas profiter alors de la commotion provoquée par son passage pour conjurer toute une tribu grâce à la divine interprétation de ce signe mystique? Utilisant de grands gestes et des pauses bien senties, voilà notre malin qui explique à son public attentif que cette traînée éclatante dans le ciel est nulle autre que le dieu du serpent de feu, qui vient demander un sacrifice. Un signe immanquable qu’il faut sur-le-champ attaquer le village voisin, après quoi il devra personnellement baiser les jeunes vierges, de façon cérémonieuse, ce qui devrait « peut-être » apaiser l’appétit du monstre céleste! 

On peut comprendre qu’ils ont bu le Kool-Aid. Les pythons dans l’coin mesurent 15 mètres de long et viennent régulièrement manger au village, et pas qu’au restaurant. Du genre qu’il ne faut surtout pas oublier de regarder derrière son épaule en pissant dans un buisson la nuit. À l’époque, le serpent géant est un dieu, car l’homme est tout simplement impuissant devant sa volonté. 

Arrive la comète.

C’est clair qu’un jour, il allait y en avoir un « smart », ben gelé sur le peyotl, qui allait faire un plus un plus un plus toi et moi ensemble, et que ça allait faire un « hit »!

ÇA FAIT TOUJOURS BOULE DE NEIGE

Si les histoires du sorcier sont le « highlight » culturel de ta semaine, pendant des siècles, il y a de grosses chances que tes chums et toi commencez à l’imiter en vous racontant des histoires pendant vos sorties de chasse. Tu vas très vite toi-même interpréter les affaires « weird » qui t’arrivent de la même façon. 

Un rayon de lune qui se réfléchit sur l’eau et apparaît soudainement dans le lichen au-dessus de ton lit, tel un visage se contorsionnant de douleur. Alors qu’un peu nerveux tu es en train de faire la prise de l’ours qui tousse à la femme de ton ami, ça ne peut être qu’autre chose que l’apparition du spectre de ta défunte femme, à qui tu pensais justement à ce moment-là. Puis, cette pression dans ta poitrine, alors qu’une main semble se resserrer sur ton cœur, ne peut pas être une simple crise d’angine provoquée par l’effort physique du moment, amplifiée par l’anxiété soudaine que tu ressens – parce qu’un tel pronostic d’accident cardiovasculaire est inconnu à ton époque. Non, cette douleur est, sans aucun doute, causée par la main fantôme de ta défunte épouse qui veut t’arracher le cœur!

Pourquoi tu ne le croirais pas? Tout le monde autour de toi y croit. Surtout, c’est exactement ce que ton cerveau t’a montré. Tu l’as vu. Tu l’as senti. Tu étais là. 

Et des millions d’histoires de même sur des millénaires…

POUR EN REVENIR À NOS MOUTONS

Alors, qu’est-ce qui a changé dans le merveilleux monde du paranormal dans les 20 dernières années? Même si ça fait longtemps qu’on sait ce qu’est une crise d’angine et que le commun des mortels a assez d’esprit critique pour ne pas s’emballer à la vue d’une simple réflexion, la science nous permet, plus que jamais, de mieux comprendre les mécanismes de notre cerveau. 

Ces récentes découvertes, particulièrement en neurosciences, n’expliquent pas toujours tout bien sûr, mais nous permettent tout de même de regarder certains phénomènes d’un autre angle. 

Par exemple, une étude relayée par Forbes en 2022 explique que certaines personnes qui vivent des expériences fantomatiques pourraient souffrir d’un « syndrome ». Dans cette étude, les collaborateurs Jim Houran et Brian Laythe, ainsi que d’autres collègues, ont mis sur pied un programme de recherche étalé sur cinq ans qui a abouti à une vingtaine d’articles de recherche évalués par des pairs et, finalement, au livre Ghosted.

Par exemple, une étude relayée par Forbes en 2022 explique que certaines personnes qui vivent des expériences fantomatiques pourraient souffrir d’un « syndrome »

L’étude tente à démontrer que le récit – ou « la création de sens » – autour d’expériences paranormales est directement influencé par les antécédents personnels de l’individu, ses croyances ainsi que les caractéristiques de sa personnalité. Aussi, que la détresse et le malaise rendent les expériences paranormales plus susceptibles de se produire. Ou encore que les expériences paranormales ont tendance à être contagieuses et à se propager au groupe. 

Intéressant. Encore là, ça n’explique pas tout, mais ça reste très intéressant.

De même que nous comprenons mieux maintenant comment certaines lésions au cerveau peuvent affecter notre perception du réel de façon absolument convaincante. Par exemple, dans l’hémisphère droit, la région qui sert au traitement visuel peut aller jusqu’à combler des vides en empruntant des éléments de notre mémoire, consciente ou inconsciente. Fou.

Bref, dans les 20 dernières années, la preuve a été faite de plus d’une façon que le cerveau humain est une machine à créer des hallucinations formidables, particulièrement en situation de trauma ou de stress, comme devant l’inconnu et, surtout, en situation de vulnérabilité ou encore en recherche de dopamine. 

Y A PAS QUE LA SCIENCE QUI DIT VRAI AU PAYS DE CEUX QUI ONT TOUS RAISON

La science a changé la donne c’est vrai, mais le plus grand bouleversement dans le domaine du paranormal n’en est pas un qui nous guide vers la découverte de la vérité, aussi invraisemblable qu’elle pourrait être. Non, le plus grand changement est sans contredit dans les moyens de diffusion de ce type de contenu. Soit, l’apparition des réseaux de télévision spécialisés et le raz-de-marée causé par l’avènement des réseaux sociaux.

Pour l’occasion j’en ai parlé avec Christian Page, un ancien collaborateur de SUMMUM en la matière, spécialiste reconnu dans les enquêtes de phénomènes inexpliqués et un gentilhomme. 

 

Lors de notre entretien il me rappelle avec justesse qu’au Québec, avant les années 2000, le sujet des phénomènes paranormaux ne prenait pas tant d’espace sur la place publique. Avant cela, les amateurs du genre devaient s’abreuver à différentes sources éparses, ici et là. Bien sûr, le cinéma a toujours apprécié le genre. Il y avait aussi les drôles de journaux à potins de l’époque qui exposaient à coup de scoops inédits les aventures extraconjugales d’une femme du Midwest avec un extraterrestre et les tribulations d’Elvis chez les yétis. À l’époque, pour en savoir plus sur les extraterrestres qui auraient visité la terre pour en influencer les premières civilisations, sur l’histoire des Annunakis, ou encore celle de Roswell, tu devais aller à la bibliothèque ou te louer un documentaire au club vidéo. Claire Lamarche parlait une fois de temps en temps de clairvoyance à Télé-Québec et il y avait aussi un certain pédophile qui animait au canal communautaire une émission sur l’ésotérisme avec pas de crédibilité pantoute. 

CANAL PLUS PLEIN ENCORE DE PLUS DE ÇA

Puis, au tournant du siècle, une révolution télévisuelle balaie le monde, et le Québec ni échappe pas. Les chaînes spécialisées poussent comme de petits champignons magiques, puis on se met tous à halluciner des bananes. Canal D, Historia, Canal Z et compagnie, sans oublier un torrent d’autres déclinaisons anglophones. Plusieurs, dont Christian Page, ont alors espéré voir les diffuseurs aborder les sujets comme celui du paranormal avec une approche rationnelle, scientifique, des émissions d’enquêtes déboulonnant les mythes ou creusant le mystère quand celui-ci persiste… Mais non! Ceux-ci ont vite choisi le sensationnalisme et les productions « cheap », l’occulte de pacotille avec des reconstitutions sur narration ridicule, et souvent avouons-le, carrément loufoque.

LES RÉSEAUX SOCIAUX SONT HANTÉES

Mais le schisme entre réalité et fiction, entre une bonne histoire de peur bien racontée et une anecdote insignifiante aucunement crédible, entre un complot réel et plausible et un complot pour te faire croire à un complot impossible, cette fracture-là, vient vraiment des réseaux sociaux.  

Le paranormal en est devenu l’un des sujets de prédilection pour l’appâtage. Des contenus qui sont faits à la va-vite, par du monde louche, sans crédibilité ni qualité, juste un titre sensationnaliste et un petit effet visuel minable, tout ça pour un clic ou pour t’attirer vers un site avec un virus. 

Après ça, il y a la trâlée de chasseurs de fantômes qui sévit aux quatre coins du Web dans toutes les langues possibles et imaginables. Christian Page me disait qu’il y a 20 ans, au Québec, il n’y en avait même pas un et qu’aujourd’hui, ils sont plus de 200 qui se filment avec leur téléphone, équipés d’outils de mesure qui ne servent à rien ou dont ils ne savent même pas se servir. 

À cela s’ajoute la panoplie de jeunes qui essaient juste de « créer du contenu » en allant dans un immeuble abandonné et en se sauvant la queue entre les jambes aux moindres craquements. Les pires sont ceux qui vont raconter à la caméra, plan buste « cheap », une vieille histoire réchauffée avec 2-3 photos à l’appui et pas de diction ni même de talent de conteur. 

Après ça, il y a la trâlée de chasseurs de fantômes qui sévit aux quatre coins du Web dans toutes les langues possibles et imaginables.

Rien n’arrête tous ces créateurs de contenu qui carburent au clic. On met tout dans le même plat, complots et cabales, extraterrestres, monstre des profondeurs, visiteurs du futur, sexualité trans-bionique, « name it »…

JE SAIS, JE SAIS… C’EST DRÔLE

Malheureusement pour chaque personne comme toi pis moi qui regarderait ça pour rire – et parce qu’il n’y a rien d’autre à 2 h du matin –, il y en a un tapon et une taponne quelque part dans sa maison mobile qui gobe tout ce qu’elle voit et, qui plus est, après va penser qu’elle sait des choses. Et ne va surtout pas lui demander des preuves ou, pis encore, lui amener des preuves du contraire!

ON REVIENT À NOTRE TRIBU DU DÉBUT

Tu crois que Jésus a ressuscité et qu’il est gardé prisonnier dans un cachot de Guantanamo par des méchants gauchistes américains parce que tu as vu ça sur Facebook d’une source de confiance… T’inquiète, tu vas la trouver ta gang pour te réconforter d’y croire. Ensemble, vous allez faire front commun, à coup d’insultes personnelles, tous ceux qui essayent dans savoir plus. 

À l’instar du sorcier d’autrefois, le Web est rempli de petits malins qui racontent n’importe quoi pour se faire des petites armées de « haters ».

Ce qui fait que ça commence à être difficile pour les Christian Page de ce monde, de parler de façon informée, sensée et détachée de ces sujets sans se faire insulter à mort par des tartempions qui ne comprennent pas la notion de prendre son gaz égal.

CONSÉQUENCES

La parapsychologie, longtemps marginalisée, commençait finalement à être prise au sérieux par la communauté scientifique et les milieux académiques. Sa crédibilité en prend malheureusement pour son rhume. On serait en droit de se demander combien d’universités voudront encore s’intéresser aux phénomènes paranormaux au risque d’y être associées.

Finalement, combien de réels mystères allons-nous échapper, noyés dans cet océan de conneries?

Le vrai complot est peut-être là. 

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