PROFESSION : PARLER DE SEXE
Entrevue de fond avec une sexologue
SUMMUM a beau publier des chroniques en lien avec la sexualité depuis une dizaine d’années, jamais on n’a publié une entrevue avec celle qui les rédige depuis ses débuts, notre collaboratrice et sexologue Sophie Brousseau. Nous nous sommes interrogés sur la profession et, à son grand plaisir, cette dernière a accepté de répondre à nos questions. Entrevue de fond avec une sexologue.
Sophie, de prime abord, dirais-tu que la profession de sexologue en est une qui intrigue les gens en général? Oh que oui! À la fameuse question « Que fais-tu dans la vie? », je n’ai qu’à dire le mot « sexologue » et voilà que tous les yeux sont rivés sur moi. Viennent alors les petits sourires en coin et les petites phrases dans le genre : « Ouin, ton chum est chanceux » ou « Quels sont les problèmes les plus particuliers que tu as entendus dans ta profession » ou « Tu dois sûrement aimer ça le sexe » ou « Il doit tellement y avoir des filles qui étudient là-dedans pour régler leurs problèmes »… La profession de sexologue suscite beaucoup de curiosité et quand j’ajoute le fait que je collabore avec plusieurs médias, dont des magazines et la radio, et que j’ai participé à des émissions télé, alors là, c’est certain qu’on va parler de sexe toute la soirée.
Quels sont les motifs qui t’ont poussée à te tourner vers cette profession? Toute jeune, je souhaitais devenir psychologue. Les gens se confiaient facilement à moi. Ce type d’emploi me permettait d’être autonome et de créer ma propre entreprise, ce qui était très stimulant comme défi. J’ai débuté mes études en psychologie à l’époque où le doctorat est devenu obligatoire pour obtenir le permis pour pratiquer. Je trouvais les études très longues et je souhaitais rapidement travailler sur le terrain. J’ai donc regardé d’autres domaines et c’est là que je suis tombée sur la sexologie. Au cégep, j’avais adoré mon cours de Psychologie de la sexualité au point où j’étais déçue que la session se termine. Je n’avais aucune idée s’il y avait des débouchés là-dedans, mais une petite voix me disait que je devais m’inscrire dans ce baccalauréat. J’avais dans l’idée que si je ne trouvais pas d’emploi après mes études, je le créerais moi-même mon emploi. Tout plein de projets me sont vite venus en tête pendant ma formation et je me voyais même devenir la prochaine animatrice d’une émission dans le style Sexe et Confidences.
Quels sont les services que tu offres en tant que sexologue? Il y a bien sûr les consultations en relation d’aide, mais j’offre aussi des conférences, de la formation à des professionnels, de l’animation de groupe, la rédaction de textes pour des magazines, la collaboration pour différents médias, etc. Mes conférences s’adressent majoritairement à des clientèles dont la sexualité est souvent oubliée, comme les personnes ayant un handicap physique, une déficience intellectuelle, un traumatisme crânien, les aînés, etc.
Comment ça se passe pour monsieur et madame Tout-le-monde quand on souhaite consulter un sexologue? Doit-on d’abord avoir une prescription d’un médecin de famille ou une simple recherche Google fait l’affaire? Habituellement, les gens me contactent parce qu’ils ont tapé un mot qui les a dirigés vers un article que j’ai écrit ou ils cherchent « sexologue » dans un moteur de recherche, ou ils contactent directement la clinique où je travaille pour prendre un rendez-vous. Il n’est pas nécessaire d’avoir une prescription d’un médecin.
Arrive-t-il parfois que tu sois complètement désemparée devant une situation? Je touche du bois, ça ne m’est encore jamais arrivé. Si ça survenait, j’irais chercher les conseils d’autres collègues professionnels. Avant le premier rendez-vous, il y a un filtrage afin de m’assurer que je peux bien les aider selon mon champ d’expertise. Ainsi, je peux les diriger vers les bonnes ressources.
Les gens, quand ils arrivent dans un bureau de consultation privé, doivent être extrêmement timides et gênés. Est-ce difficile de percer leur carapace? S’il y avait du tapis sur le plancher, ils passeraient en dessous plutôt que de s’asseoir en face de moi. J’en ai même qui annulent à la dernière minute ou qui ne se présentent tout simplement pas parce qu’ils sont trop stressés de me rencontrer. Ils me recontactent parfois quelques semaines plus tard pour reprendre un rendez-vous. Le fait que je leur pose des questions sur un sujet si intime que la sexualité en leur laissant toute la place, sans les juger, est la clé. À la fin de bien des rencontres, ils me disent souvent que jamais ils n’ont osé dire certaines choses à leurs partenaires, mais qu’à moi, c’était si facile. Je les écoute, je dédramatise, je recadre, j’éduque et je ne juge pas. Ce qui est parfois le contraire dans les couples. Leur devoir après la rencontre, c’est de réussir à s’ouvrir à l’autre comme ils l’ont fait avec moi.
Dans ta vie personnelle, est-ce que les gens sont portés à te poser des questions en lien avec leur sexualité? As-tu l’impression parfois que c’est lourd à porter? Oui, tout le temps. Pour eux, ils ne comprennent pas toujours que le contexte n’est pas propice aux confidences. Ils se contrefichent qu’il y ait de la musique à tue-tête et des gens autour. Ils ont enfin quelqu’un à qui parler de sexualité et qui s’y connaît en la matière. Souvent, j’ai juste envie de boire ma petite coupe de vin en parlant de tout et de rien avec les gens. Avec les années, j’ai appris à couper rapidement la conversation pour plutôt les diriger vers des ressources qui pourront mieux les aider dans un contexte professionnel plutôt qu’autour d’une bière.
L’éducation de la sexualité refait surface dans le cursus scolaire, autant au primaire qu’au secondaire. Et je sais que ça fait partie de tes tâches maintenant de collaborer à l’implantation du programme, de concevoir des ateliers adaptés selon les niveaux et de conseiller les intervenants scolaires. Qu’est-ce qui est le plus important de faire comprendre aux jeunes sur les deux paliers d’éducation à ton avis? Effectivement, à la commission scolaire, mon rôle est d’accompagner les enseignants tant pour les aider à être plus à l’aise lors de l’animation des contenus, mais aussi en développant des outils d’animation adaptés au développement psychosexuel des enfants et des adolescents. En lien avec le programme d’éducation à la sexualité du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, nous y parlons de vie affective et amoureuse, de stéréotypes sexuels, de croissance sexuelle et d’image corporelle, de grossesse et naissance, de ITSS, d’agression et de violence sexuelle, de la globalité de la sexualité, etc. C’est important de parler de sexualité aux jeunes d’une façon positive, sans cachette, et de les outiller pour faire face aux différentes situations qui se présenteront tout au long de leur vie.
Y a-t-il des habitudes ou des pratiques sexuelles que les gens devront changer dans les prochaines années? Ou, du moins, y réfléchir sérieusement? Toute cette pression que nous nous mettons dans la vie en général, nous nous la mettons aussi dans la sexualité. Nous voulons avoir un corps parfait, jouir avec les orteils levés vers le ciel, essayer toutes sortes de pratiques sexuelles pour avoir l’air « hot », mais à force de vouloir que tout soit toujours mieux que les autres, ça fait en sorte que les couples sont plus malheureux que jamais au lit. La sexualité, c’est bien plus que la relation sexuelle avec pénétration. S’embrasser, prendre un bain à deux, jaser de nos préférences sexuelles, regarder la télévision collés l’un contre l’autre, c’est aussi ça, la sexualité. Et je crois que nous devrons changer nos mentalités parce que ce n’est pas la fin du monde si un soir, on ne jouit pas. On se reprendra le lendemain.
(Lire l’article complet dans l’édition #160 décembre/janvier 2019 – www.boutiquesummum.com)