





L’histoire de l’espionnage au cinéma reflète à la fois les évolutions politiques mondiales et les transformations de l’industrie cinématographique. Depuis les premières années du septième art, ce genre a su captiver l’imagination du public en mêlant intrigue, suspense, action et, souvent, une dose de sexualité.
Puisque l’espionnage existe et est utilisé dans les conflits entre nations depuis des siècles, comment se fait-il qu’il ait fallu attendre au vingtième pour que l’espion entre dans la catégorie des héros populaires dans l’imaginaire collectif?
Vu la nature traitresse de l’activité d’espionnage, l’espion a, pendant des centaines d’années, été vu comme un être détestable, prêt à tout pour tromper ses proches et même ses compatriotes. La perception a commencé à changer à la suite d’une cause historique qui a déchiré la France, l’affaire Dreyfus. En 1894, un officier militaire d’origine juive a été accusé d’espionnage simplement à cause d’une ressemblance approximative d’écriture. L’affaire Dreyfus est fascinante et je vous invite à fouiller un peu plus si votre curiosité est piquée. On se battait même dans les salles de cinéma présentant un film sur l’affaire en 1899!
Une assez grande partie du public a donc commencé à avoir de la sympathie pour « l’espion » et, de là, la voie était ouverte pour qu’il devienne un héros ou anti-héros moderne, d’abord dans les livres, puis éventuellement au cinéma.
Inspirations littéraires pour les films d’espionnage
Les romans d’espionnage, souvent écrits par des auteurs ayant une expérience directe dans le domaine ou une connaissance approfondie des affaires internationales, servent de base à certains des films les plus iconiques du genre. Ces ouvrages posent les bases des intrigues complexes et des héros involontaires pris dans des complots internationaux.
L’un des premiers exemples notables est l’adaptation des romans de John Buchan, comme The Thirty-Nine Steps (1915), qui a inspiré Alfred Hitchcock pour son film du même titre en 1935. Le film est d’ailleurs souvent considéré comme le premier drame d’espionnage moderne. Fait amusant, le personnage principal de l’intrigue, Richard Hannay, passe d’Écossais à Canadien dans le film d’Hitchcock contrairement au livre de Buchan. Hannay est un des premiers « hommes ordinaires forcés à fuir » que Hitchcock affectionne particulièrement.
Qui dit source littéraire dit évidemment Ian Fleming, lui-même agent des renseignements britannique, avec sa célèbre série de romans mettant en scène James Bond, probablement la figure le plus emblématique du cinéma d’espionnage. Ses histoires, marquées par une combinaison d’action, de gadgets futuristes et de personnages sophistiqués, ont défini une grande partie de l’esthétique de l’espionnage au cinéma. Le premier roman de la série, Casino Royale (1953), a connu plusieurs adaptations, la plus notable étant celle de 2006 avec Daniel Craig.
Un autre auteur très important est John le Carré, dont les romans offrent une vision plus réaliste et sombre du monde de l’espionnage. Des films, comme The Spy Who Came in from the Cold (1965) et Tinker Tailor Soldier Spy (2011), sont tirés de ses œuvres, présentant un univers où les héros sont souvent déchirés par des dilemmes moraux.
D’autres auteurs notables incluent Len Deighton, avec des adaptations comme The Ipcress File (1965), qui introduit un héros plus terre-à-terre et cynique, contrastant avec le glamour de Bond. Frederick Forsyth, auteur de The Day of the Jackal (1971), a quant à lui inspiré des films qui mettent en avant des intrigues précises et des détails minutieux sur les opérations secrètes.
Enfin, Robert Ludlum a marqué le genre avec sa célèbre série impliquant Jason Bourne. Ses romans ont donné naissance à une franchise cinématographique acclamée mettant en vedette Matt Damon. Les histoires de Ludlum mêlent action intense, quêtes identitaires et intrigues complexes, redéfinissant l’espionnage moderne avec un style dynamique et une approche réaliste des enjeux géopolitiques.
On se reparle plus tard de Tom Clancy, non présent dans les débuts du genre.
Les débuts du récit d’espionnage au grand écran
Dès les années 10, l’espionnage devient un thème cinématographique populaire (l’effet Dreyfus quoi!). Le film muet The German Spy Peril (1914) est l’un des premiers à traiter des craintes liées à l’espionnage durant la Première Guerre mondiale et évoque la question de loyauté nationale et de trahison.
Avec l’arrivée du son, Alfred Hitchcock marque les années 30 en posant les fondations du thriller d’espionnage moderne avec le susmentionné The 39 Steps. Ses films, à la croisée de l’intrigue politique et du suspense psychologique, introduisent des concepts novateurs comme la tension progressive et les apparences trompeuse, un thème récurrent chez le réalisateur. Hitchcock utilise aussi les paysages et les décors comme des personnages à part entière, renforçant l’impact narratif. Ce style visionnaire influence durablement le genre de l’espionnage au cinéma, créant un mélange réussi de divertissement grand public et d’exploration des angoisses et des dilemmes de l’époque.
L’apogée de la Guerre froide
Le genre atteint son âge d’or pendant la Guerre froide, une période où les tensions entre les blocs Est et Ouest alimentent une prolifération de films d’espionnage. L’arrivée de James Bond au cinéma marque une révolution dans le genre. Introduit au grand écran avec Dr. No en 1962, James Bond, interprété initialement par Sean Connery, établit un modèle d’espion sophistiqué, charmeur et résolument grand public. Le personnage se distingue par son élégance irréprochable, son humour flegmatique, et une maîtrise inégalée des gadgets technologiques, souvent créés par le célèbre Q, le maître des inventions du MI6. La franchise s’impose rapidement comme un phénomène culturel mondial, réinventant les codes du cinéma d’action tout en consolidant l’image d’un espion presque invincible et toujours charismatique. Bond incarne une vision fantasmée de l’espionnage et définit une formule qui inspirera de nombreuses productions, tout en s’éloignant grandement de la réalité terrain des vrais espions.
Pour le réalisme, il faut se tourner vers des films comme The Spy Who Came in from the Cold (1965), basé sur le roman de John le Carré. Ces récits, souvent teintés de fatalisme, reflètent les ambiguïtés morales et les dilemmes éthiques liés à l’espionnage, offrant un contrepoint saisissant à l’univers flamboyant des productions James Bond. On considère d’ailleurs Tinker Taylor Soldier Spy, adapté au cinéma en 2011, comme l’un des films d’espionnages les plus réalistes de l’Histoire. Vous y trouverez peu de fusillade, de poursuites et de jolies espionnes!
Les années 70 et 80 : paranoïa et méfiance
Les années 70 voient une diversification des thèmes et une complexification des intrigues. Les années 60 s’étaient, après tout, terminées avec la mort de la femme de James Bond (désolé pour le spoiler vieux de 55 ans)!
Dans les années 80, à quelques exceptions près, le plaisir et la légèreté reviennent au film d’espionnage avec le Bond incarné par Roger Moore. Des films, comme For Your Eyes Only (1981) et Octopussy (1983), mettent davantage l’accent sur les cascades spectaculaires et les scènes d’action. L’espionnage reste cependant fortement influencé par le contexte de la Guerre froide, avec des affrontements directs ou indirects entre les services secrets soviétiques et occidentaux. Les films de cette époque marquent également l’arrivée de la guerre technologique, symbolisée par des gadgets toujours plus avancés. On peut notamment suggérer No Way Out de 1987, qui met en vedette un très jeune Kevin Costner, pour un exemple plus sérieux tiré des années 80.
L’après-Guerre froide : rebrassage des cartes
Avec la chute du mur de Berlin et la fin de l’Union soviétique, les films d’espionnage doivent se réinventer. Des sagas, comme Mission: Impossible, lancée en 1996, introduisent des intrigues internationales plus complexes et des effets spéciaux spectaculaires tout en conservant l’essence du genre. Ces récits mettent en avant des héros aux compétences multiples, confrontés à des organisations criminelles globales. Les films qui mettent en vedette Tom Cruise ne tirent pas leur inspiration d’un roman, mais de la série télé du même nom diffusée du milieu des années 60 au milieu des années 70.
Pendant ce temps, la franchise James Bond se modernise avec Pierce Brosnan dans les années 90 et Daniel Craig à partir de Casino Royale (2006), qui présente un espion plus vulnérable et humain. Bond est désormais un homme en proie à des doutes personnels, adapté aux attentes d’un public contemporain. Parallèlement, des films comme The Bourne Identity (2002) redéfinissent le genre avec une approche plus réaliste et des scènes d’action viscérales.
On ne peut passer sous silence Tom Clancy, auteur prolifique de technothrillers d’espionnage et politiques, qui a vu plusieurs de ses œuvres adaptées au cinéma pendant la décennie 90, à commencer par The Hunt for Red October (1990). Ses histoires, centrées sur la géopolitique, les conflits militaires et l’espionnage, ont donné naissance à des films marquants, mettant généralement en vedette l’analyste de la CIA Jack Ryan, incarné par Alec Baldwin et Harrison Ford, notamment.
Depuis les années 2010, l’espionnage au cinéma s’adapte encore une fois aux enjeux modernes, tels que le cyber-espionnage, la surveillance globale et le terrorisme international. Des films comme Zero Dark Thirty (2012) et même l’univers de Bond dans Skyfall (2012) explorent les conséquences éthiques et personnelles des opérations secrètes. Le rôle de la technologie devient central, comme dans Snowden (2016), qui traite des révélations sur la surveillance de masse et les conflits entre sécurité et liberté.
Les réalisateurs et scénaristes contemporains explorent aussi des perspectives alternatives. Des personnages féminins, tels que ceux de Red Sparrow (2018) et Atomic Blonde (2017), gagnent en importance, offrant une représentation plus équilibrée du genre.
La fin du film d’espionnage? Impossible
Genre permanent depuis les années 60, l’espionnage au cinéma, riche et diversifié, a su s’adapter aux changements historiques et aux attentes du public. De l’élégance stylisée de James Bond à la dure réalité de films comme Tinker Tailor Soldier Spy (2011), le genre continue d’évoluer en explorant de nouvelles facettes de ce monde. On aura un autre exemple en 2025 avec Mission Impossible – The Final Reckoning. J’entends votre question : non, on ne sait pas si ce sera le dernier film de la série malgré son titre. Possible que la série se poursuive avec Cruise ou un autre acteur.