Miss Harvey, gameuse et fière de l’être
La Québécoise Stéphanie Harvey s’attaque à un enjeu de taille
Certes, Stéphanie Harvey, alias missharvey, a marqué l’univers du jeu vidéo en étant multiple championne du monde de Counter-Strike, un jeu de guerre de « tir à la première personne » principalement multijoueur. Oui, la Québécoise s’est avérée la grande gagnante de la deuxième saison de l’émission de téléréalité Big Brother Célébrités. Or, cette femme de 36 ans a réalisé bien d’autres choses dans sa vie. À l’aube d’une nouvelle étape de son parcours, elle a pour mission de sensibiliser et d’éduquer les gens aux enjeux de la citoyenneté numérique, notamment. C’est ce qu’on a apprend dans son premier livre titré Miss Harvey, gameuse et fière de l’être. Rencontre.
Dans son ouvrage, elle raconte d’abord son enfance durant laquelle ses parents ont eu une influence positive. Ils ont accompagné leur fille tout au long de sa passion pour le jeu vidéo, jusqu’à ce qu’elle se forge une carrière hors norme. Plus loin dans le bouquin, Stéphanie Harvey traite aussi de ses préoccupations envers le vaste univers de l’Internet. Elle y présente, entre autres choses, « les 4C de missharvey », qui sont des enjeux sociaux fondamentaux : la cyberintimidation, la cybersécurité, la cyberdépendance et le cyber-bien-être. Selon elle, la sensibilisation et l’éducation de la population sont cruciales tout comme l’implication de divers acteurs de la société.
La transmission
Depuis la fin de l’été, cette femme originaire de Beauport offre un cours à l’Université du Québec à Trois-Rivières, un nouveau microprogramme en développement de sport électronique. Elle y aborde les thèmes de l’éthique, de la santé et du bien-être. Cela dit, Stéphanie a un autre boulot, soit directrice du développement de Counter Logic Gaming (CLG), une filiale de Madison Square Garden, à New York, qui chapeaute MSG Sports, qui gère notamment les Knicks dans la NBA et les Rangers dans la LNH.
Il faut préciser que, depuis le début de la pandémie, mademoiselle Harvey est très peu active dans le monde professionnel du jeu. En quelques mots, elle ne compétitionne pas. Toutefois, elle a toujours une passion pour le jeu vidéo (elle adore The Witcher 2) : « J’ai plein de projets avec CLG. […] Je suis impliquée dans le leadership de l’équipe. Je travaille sur les formations. Je dirige le comité Diversity, inclusion and equity. Notre équipe est avant-gardiste. »
À la page 95 de son livre, écrit en collaboration avec Joanie Godin, on peut lire ceci : « Pendant longtemps, le concept de l’équité, de l’inclusion et de la diversité́ n’était pas répandu. Aujourd’hui, il est reconnu tant dans le monde du jeu vidéo que sur le marché́ du travail, et les entreprises reconnaissent le côté positif d’avoir de la diversité́ dans leurs produits et au sein de leurs employés. J’ai l’impression d’avoir été l’une des seules à faire face à des murs au cours des 15 premières années de ma carrière, quand je luttais pour la diversité́ et l’inclusion – mais je me suis battue quand même. C’était important pour moi. Quel soulagement de constater que ces concepts commencent – enfin – à faire leur chemin ! »
Au fil des années, la joueuse a ainsi réfléchi aux grandes questions soulevées par l’immense impact du Web sur les comportements humains. À l’opposé, Internet n’est que le reflet des idées et des attitudes humaines. Elle parle par ailleurs de la représentativité des femmes dans le jeu, que ce soit dans le monde de création ou de la compétition.
La toxicité
La toxicité en ligne est un autre sujet longuement développé dans son bouquin. « La toxicité est un des fléaux les plus importants de notre époque, un de ceux qui ont le plus d’impact sur la société moderne », écrit-elle. En entrevue avec notre journaliste, elle précise : « Avec ou sans jeu vidéo, la toxicité est partout. Cette toxicité n’est pas engendrée par le gaming comme plusieurs peuvent le croire. Le jeu est juste victime de la toxicité, comme le Web. Dans ma réflexion sur la toxicité, c’est là que le concept de la cybercitoyenneté est apparu. Dans la vraie vie, un enfant est continuellement accompagné par d’autres. Il est aussi réprimandé, si nécessaire. Cependant, cette idée de la punition n’existe pas sur Internet.
« La politesse est trop souvent négligée. Le respect de l’autre n’est pas un prérequis. Alors, il faut améliorer les comportements en ligne. On doit accompagner le citoyen dans sa vie numérique pour qu’il puisse devenir une personne épanouie, qui contribue à la cybersociété de façon positive, de la même manière qu’il se comporte en respectant les règles de la conduite routière. À l’instar de la voiture, l’outil Internet peut s’avérer à la fois utile, épanouissant et dangereux. À mon avis, le Web est arrivé trop rapidement dans nos vies. Les enjeux sociaux ne sont plus les mêmes qu’en 1950. Malheureusement, la bonne citoyenneté numérique n’est pas une priorité pour nos élus. »
Comment devenir un meilleur citoyen numérique? D’après Stéphanie Harvey, l’encadrement des parents, des profs, des entreprises et des gouvernements est essentiel. En fait, sans éducation, sans accompagnement, le citoyen est en quelque sorte laissé à lui-même, devant des enjeux de sécurité, d’intimidation, de santé, etc.
« Ça se fait à tous les niveaux. Le gouvernement, notamment, doit mettre de la pression sur les compagnies, qui pensent d’abord aux profits. Il faut réglementer les algorithmes qui font la promotion de la haine, pour obtenir plus d’engagement. La santé mentale de bien des gens dans le monde en dépend. Les réseaux sociaux nuisent énormément à l’estime personnelle des adolescentes, par exemple, qui ne cessent de se comparer, voire d’envier, d’autres internautes. »
« Je veux changer les choses »
Questionnée par rapport à la nécessité d’avoir un comité ou un ministère gouvernemental responsable de la cybercitoyenneté, Stéphanie Harvey est catégorique : « Oui, le gouvernement a définitivement besoin de se pencher sur cet enjeu majeur. Il devrait bien entendu s’entourer de personnes compétentes. L’entreprise doit absolument être encadrée par les autorités publiques. Je pense que la Canada a besoin d’un ministre de l’Internet », lance-t-elle en blaguant à moitié.
Stéphanie Harvey admet qu’elle aimerait diriger un comité québécois ou canadien servant à créer un plan d’intervention pour l’éducation auprès de la population et des entreprises. « C’est ce dont je parle depuis des années. J’aimerais m’impliquer avec sérieux. Depuis que je ne fais plus de compétition, mon rôle a été redéfini. Je veux changer les choses. Je crois fondamentalement que le Web et les jeux vidéo peuvent être épanouissants. Malheureusement, on n’a rien fait pendant trop longtemps. Malheureusement, trop de gens ont des problèmes sur le Web… »
Évidemment, la cybercitoyenneté est une idée qui n’est pas parfaite. Mais sans balise, sans règle, sans aide, l’univers de l’Internet est propice à toutes sortes de dérives. Et, actuellement, on entend parler de celles-ci tous les jours, selon Stéphanie Harvey : « À mon avis, une partie de la solution passe par un mouvement de communauté. »
D’ailleurs, Stéphanie Harvey utilise des expériences vécues pour appuyer ses propos. Dès l’adolescence, elle a navigué dans milieu majoritairement masculin… Dans ce monde où les femmes sont vues comme des exceptions, l’intimidation a été flagrante dans plusieurs étapes de sa carrière. Dans le livre, elle évoque les années passées chez Ubisoft Montréal, où elle a travaillé sur l’équipe de conception. Elle a dû remodeler ses rapports envers les autres afin de pouvoir évoluer adéquatement dans cette industrie. Le prix à payer? Se taire au sujet de comportements pourtant inadmissibles, selon elle.
L’univers méconnu du gaming
La cybercitoyenneté n’est pas le seul thème abordé dans le livre de Stéphanie Harvey. La première partie de cet ouvrage de 225 pages est consacrée à sa carrière de joueuse de jeu vidéo et à celle impliquant différentes entreprises et organisations, telles que ÉLEVY (fondée en 2021), qui a pour mission de prôner la citoyenneté numérique.
Après être devenue cinq fois championne du monde du jeu Counter–Strike, et une icône du jeu vidéo professionnel chez les femmes, Stéphanie Harvey a clairement donné un coup de barre à sa vie de gameuse. Elle affirme à la toute fin de notre entretien que la compétition est pratiquement terminée pour elle. « Je n’ai pas annoncé officiellement que je prends ma retraite. Mais, je n’ai pas fait de compétition depuis le début de la pandémie. J’ai 36 ans… Je pense que je suis une retraitée de la compétition. »
La suite de l’histoire de missharvey lui appartient. Visiblement, elle continuera à parler du savoir-vivre numérique.
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Le livre Miss Harvey, gameuse et fière de l’être a été publié le 14 septembre 2022, par Les Éditions de l’Homme.