L’HOMME CONGELÉ DU MINNESOTA
À la fin des années 60, une curieuse attraction de foire s’est retrouvée au cœur d’une saga scientifique. L’affaire a pris des proportions nationales et, encore aujourd’hui, cette énigme continue d’alimenter une certaine controverse. Que le véritable « homme congelé » veuille bien se lever!
Approchez! Venez voir « l’homme congelé »!
En 1967, Frank Hansen, un habitué des fêtes foraines, exhibe sa dernière attraction : le cadavre congelé d’un homme velu. La créature aurait été découverte par des pêcheurs russes alors qu’elle flottait dans un bloc de glace. Un milliardaire californien en aurait fait l’acquisition et c’est ce magnat qui l’aurait confié à Hansen pour qu’il l’exhibe dans les fêtes foraines. Ladite curiosité, toujours conservée dans une enveloppe de glace – elle-même gardée dans un congélateur dont le couvercle a été remplacé par une épaisse vitre –, va bientôt devenir l’objet d’un invraisemblable imbroglio scientifique. À l’automne 1968, deux zoologues, Ivan T. Sanderson et Bernard Heuvelmans, entendent parler pour la première fois de « l’homme congelé ». L’affaire éveille aussitôt leur curiosité. Ils apprennent que le spécimen est la propriété (ou sous la garde?) d’un résidant du Minnesota : Frank Hansen. Les scientifiques contactent ipso facto Hansen et lui demandent d’examiner son spécimen. Le forain semble embarrassé, mais accepte à condition que cet examen reste confidentiel.
Le 16 décembre 1968, Sanderson et Heuvelmans débarquent donc au domicile du forain. Celui-ci les entraîne vers une remorque garée près de la maison. C’est là qu’il garde son « homme médiéval », comme il l’appelle. Si Hansen autorise les deux scientifiques à l’examiner, il est toutefois hors de question d’ouvrir le couvercle du congélateur et encore moins d’en sortir la créature. Les scientifiques doivent se contenter de l’examiner comme le ferait n’importe quel curieux à la foire. Pendant trois jours, ils vont donc examiner cet étrange spécimen. La créature fait environ 1,8 mètre. Elle ressemble à un homme, mais son corps est couvert de longs poils d’un brun foncé, presque noir, sauf sur le visage, la paume des mains et la plante des pieds. L’être est étendu sur le dos. Son bras droit est placé le long du corps et sa main droite est ramenée sur l’aine. Contrairement au récit de Frank Hansen, Sanderson et Heuvelmans sont d’avis que la créature est morte depuis peu. Les scientifiques notent aussi, autour du cercueil réfrigérant, cette odeur âcre et caractéristique de la chair en décomposition.
Qui dit vrai?
Durant la semaine de Noël, Ivan Sanderson, invité au célèbre Tonight Show de Johnny Carson, parle de l’homme congelé (malgré sa promesse de rester « discret »). Idem du côté de Heuvelmans qui, en février 1969, publie un article dans le Bulletin de l’institut royal des Sciences naturelles de Belgique. L’affaire de l’homme congelé commence à circuler dans les milieux scientifiques… au grand dam de Frank Hansen.
En mai 1969, Ivan Sanderson publie deux articles dans des périodiques populaires. Ces articles replacent Hansen sous les feux de la rampe. Le forain réagit. Il tient une conférence de presse durant laquelle il affirme qu’il n’a jamais été le propriétaire du « vrai » homme congelé. Il ajoute que le « vrai » spécimen a depuis peu été retourné à son propriétaire et que l’hominidé qu’il exhibe à présent n’est plus qu’un faux en latex fabriqué à sa demande.
Stigmatisés, Heuvelmans et Sanderson se retrouvent seuls face au rouleau compresseur des médias. Pour la presse, la cause est entendue : l’homme congelé n’est rien d’autre qu’une attraction de foire.
Au milieu des années 70, avec le déclin des fêtes foraines, Frank Hansen réadapte son exhibition pour qu’elle puisse être présentée dans des centres commerciaux. Le congélateur/cercueil est remonté sur une espèce de scène mobile où les curieux peuvent détailler l’étrange créature. Vers 1982, Frank Hansen prend sa retraite et, avec lui, son homme congelé.
Quant aux deux autres protagonistes, Bernard Heuvelmans et Ivan Sanderson, le premier publie, en 1974, L’homme de Néandertal est toujours vivant, un pavé de 500 pages dans lequel il maintient que le spécimen observé chez Frank Hansen n’avait rien à voir avec un modèle en latex (une conviction qu’il défendra jusqu’à sa mort, en 2001). Quant à Ivan Sanderson, il meurt en 1973 persuadé, lui aussi, de l’authenticité de l’homme congelé.
Des aveux tardifs
L’un des slogans de la populaire série des X-Files était « Je veux croire » (I want to believe). Et c’est probablement ce souhait qui a permis à l’affaire de l’homme congelé de perdurer aussi longtemps.
Au printemps 2002, je me suis mis en quête du père de la saga de l’homme congelé. En vérifiant l’annuaire téléphonique du Minnesota, j’ai trouvé plusieurs Hansen dans la région de Winona. J’ai entrepris de les contacter, l’un après l’autre. Le troisième sur ma liste était le bon…
Hansen, alors âgé de 80 ans, a commencé à me parler de la créature « originale » et de son mystérieux propriétaire californien. Je l’ai aussitôt interrompu. Cette histoire, lui ai-je rétorqué, je la connaissais et n’y croyais pas du tout. Hansen a fait une pause. À l’autre bout du fil, j’ai eu l’impression qu’il était presque soulagé. Il m’a alors parlé de « son » homme congelé. Il m’a confirmé que le monstre avait été fabriqué en Californie, en 1967. La créature avait ensuite été placée dans une gangue de glace et enfermée dans son cercueil réfrigérant où elle était depuis. Et quand je lui ai demandé si c’était ce spécimen en latex que Sanderson et Heuvelmans avaient étudié, l’octogénaire m’a simplement répondu en riant : « D’après vous? »
Poser la question, c’était y répondre…
Mais si l’homme congelé n’a jamais été autre chose qu’un mannequin en latex, comment expliquer l’enthousiasme de Sanderson et de Heuvelmans?
À leur décharge, disons que les conditions d’observation étaient loin d’être optimales. La remorque de Hansen – où était gardé l’homme congelé – était étroite et mal éclairée. Ajoutez à cela que Sanderson et Heuvelmans n’avaient aucun accès direct à la créature, n’étant autorisés à la détailler qu’à travers sa gangue de glace. Cela dit, je pense que les hommes manquaient aussi « d’expertise »… non pas en zoologie, mais en matière de trucage!
Aujourd’hui, tous les acteurs de cette extraordinaire saga sont décédés (Frank Hansen est mort le 23 mars 2003). Quant à l’homme congelé – du moins le modèle en latex –, celui-ci a été racheté à la succession de Frank Hansen et est aujourd’hui exhibé au Musée de l’étrange (Museum of de Weird), à Austin, au Texas.
Exit les hominidés inconnus? Pas tout à fait…
Il existe à travers le monde un riche folklore référant à des créatures simiesques, qu’il s’agisse du bigfoot (Amérique du Nord), du yeti (Tibet), de l’almastie (Russie), du yaren (Chine), de l’orang-pendek (Sumatra) ou du yowie (Australie). Ces êtres, peu importe le nom qu’on leur donne, témoignent d’une faune anthropoïde encore inconnue de la science. Je ne tire pas le rideau sur de telles créatures, même si pour l’heure il faut bien admettre que les preuves convaincantes ne sont pas au rendez-vous. Mais, comme le disait le neurophysiologiste Michel Jouvet : « L’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence. » En revanche, j’ai la certitude que si de telles créatures existent, aucune ne s’est jamais retrouvée dans le congélateur de Frank Hansen…
(Lire l’article complet dans l’édition #157 août 2018 – www.boutiquesummum.com)