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L’héritage de Jurassic Park

Nicolas Lacroix
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Parmi les choses qui nous sortent totalement d’un film il y a certainement les mauvaises performances d’acteurs, des scénarios mal foutus, un personnage qui agit de façon idiote. Quand on aime le cinéma fantastique, le plus gros péché est probablement les mauvais effets spéciaux. À l’inverse, un film aux effets spéciaux réalistes risque de connaître un meilleur succès et ce fut certainement le cas de Jurassic Park, le succès de l’année 1993. Non seulement les effets du film de 1993 révolutionnèrent le cinéma, plusieurs les trouvent meilleurs que ceux des films récents tels que Le Monde Jurassique. Comment en sommes-nous arrivés là?

Pendant des décennies, la technologie ne permettait pas aux cinéastes de réaliser pleinement leur vision, limités qu’ils étaient par les matériaux à leur disposition. Puis tranquillement, l’ordinateur est arrivé pour aider les cinéastes. L’ordinateur a permis ce qu’on appelle largement CGI ou Computer Generated Imagery, qu’on traduit en français pas Effets Spéciaux Numériques. Ni plus ni moins que la création d’images inexistantes par ordinateur pour remplacer ou ajouter des éléments

Si les étapes préliminaires des images générées par ordinateur sont arrivées dans les années soixante-dix, d’abord avec Le Monde de l’ouest puis La Guerre des étoiles, c’est vraiment avec la sortie de Le Parc Jurassique que les effets numériques sont arrivés à maturité. Presque poétiquement, Le Monde de l’ouest et Le Parc Jurassique sont adaptés de romans du même auteur, Michael Crichton. Un visionnaire quoi.

Donc c’est dans Le Monde de l’ouest, qui concerne un parc d’attraction (tiens tiens) peuplé de robots très humains, qu’on a utilisé pour la première fois les effets numériques et c’était pour un peu plus de deux minutes montrant le point de vu de l’androïde incarné par Yul Brynner.

En 1982, il y a eu Tron, qui représente la première utilisation « extensive » d’images générées par ordinateur (on parle de 15 minutes au total ici). Un des ordinateurs utilisés pour Tron avait 2M de mémoire et 330 M de stockage! Par contre le manque de succès du film au box-office a nui pendant des années à l’utilisation des effets numériques, jugés trop coûteux en temps et en argent. Tron ne fut même pas nominé aux Oscars pour ses effets spéciaux!

 

Avant de parler de dinosaures, il faut aussi parler de métal. Pas la musique, la matière. Il est impossible de mentionner les effets du film de Spielberg dans parler de l’incroyable avancée réalisée deux ans plus tôt par l’équipe de Terminator 2. Premièrement parce que c’est une autre étape cruciale dans le développement des effets numériques et deuxièmement parce que beaucoup du même monde fut impliqué dans les deux films!

C’est la compagnie ILM , Industrial Light & Magic fondée par George Lucas pour les effets de La Guerre des étoiles, qui a créé la portion « métal liquide » du T-1000 incarné par Robert Patrick dans Terminator 2. Il s’agit de la première instance d’un personnage principal partiellement généré par ordinateur. ILM est d’ailleurs impliquée dans presque l’entièreté des étapes majeures du développement des effets numériques et c’est aussi le cas pour ceux de Le Parc Jurassique.

Au départ, Spielberg comptait tourner son film en utilisant à la fois des modèles pleine grandeur animés mécaniquement combinés à des modèles réduits filmés en animation dite « stop-motion » (animation en volume pour les puristes de la langue), une image à la fois, comme le King Kong original de 1933. L’homme embauché pour la portion stop-motion fut Phil Tippett, récipiendaire d’un Oscar pour les effets de Le Retour du Jedi.

Pour la portion « animatronic » pleine grandeur, le spécialiste des créatures Stan Winston fut choisi, lui qui venait justement de s’occuper du squelette métallique dans Terminator 2, qui lui valut d’ailleurs lui aussi deux prix de l’Académie.

Le plan était ceci : les créatures pleine grandeur de Winston allaient occuper principalement l’écran et dans les séquences plus éloignées, on comblerait avec les modèles animés de Tippett. Spielberg voulait à tout prix éviter les effets par ordinateurs car il les trouvait « fakes ». On est à l’époque du VHS et de Windows 3.1, rappelons-le.

Les petits génies d’ILM ne voulant pas se sentir vaincus, ils préparèrent une démo d’un Tyrannosaure Rex marchant en plein jour vers la caméra, avec rien pour dissimuler les défauts de l’image.

La réaction de choc fut immense lors de la présentation des images et Tippett se déclara même sur la voie de l’extinction. On réutilisa même sa déclaration dans le film lors d’un dialogue entre le docteur Grant (incarné par Sam Neill) et Malcolm (Jeff Goldblum).

 

Partiellement convaincu, Steven Spielberg désirait quand même utiliser l’ordinateur en cas extrême seulement. Donc dans les séquences-clefs comme l’attaque du T-Rex sur la Jeep dans laquelle se trouvent les enfants, le réalisateur n’utilise pratiquement pas d’image numérique. Il reprend une vieille technique de Les Dents de la mer pour marquer la présence du T-Rex sans le montrer (les cercles concentriques dans le verre d’eau remplacent les ballons jaunes signalant la présence du requin). Ensuite, c’est la maquette pleine grandeur du T-Rex construite par l’équipe de Stan Winston qui s’occupe de la majorité de la séquence, appuyé par quelques insertions numériques.

 

Le T-Rex de Winston pesait 12 00 livres (5400 kilos) et son poids força l’équipe à renforcer la structure du bâtiment où on tournait l’attaque. Ça c’était avant qu’on ajoute la pluie, autre technique utilisée par l’équipe pour dissimuler les défauts possibles de leurs créations numériques. Le poids imprévu de la pluie sur la peau en latex du T-Rex causa d’autres maux de tête : il fallait sécher l’énorme maquette entre chaque prise, au séchoir et à la serviette.

La séquence du film qui utilise le plus l’ordinateur est le combat final entre le T-Rex et les vélocirapteurs. Les créatures y sont entièrement numériques mais encore là on les fait interagir avec de vrais objets comme le squelette de dinosaure.

C’est une des leçons à retenir du premier film : le cerveau humain sait déceler quand il voit quelque chose qui existe ou qui n’existe pas réellement en trois dimensions. Ça explique pourquoi certaines personnes préfèrent les effets du film original comparativement à ceux des plus récents films de la saga.

Dans le fond, la révolution de Jurassique fut de bien cacher les effets en mélangeant les techniques : animation par ordinateur ici, marionnette pleine grandeur là, et ainsi de suite. Quand une technique s’avérait insuffisante, on la jumelait à une autre pour atteindre un niveau de réalisme encore jamais vu. Et pas souvent dépassé à ce jour. Dennis Muren, le superviseur des effets spéciaux, remporta d’ailleurs un Oscar bien mérité pour Le Parc Jurassique.

Parmi les autres choses qui ont fait de Le Parc Jurassique un film d’exception mentionnons le marketing du film. C’est en effet un des rares blockbusters de 1993 qui ne dépendait pas de vedettes pour son affiche, seulement d’un concept très fort. Il se battait contre Le Fugitif d’Harrison Ford, La Firme de Tom Cruise et La Falaise de la mort de Sylvester Stallone notamment. L’affiche du film de Spielberg mettait seulement l’accent sur le logo du parc, aucune mention des acteurs.

 

Autre chose de plus en plus rare depuis, la bande-annonce du film en montrait peu, juste assez pour nous intriguer, presque aucun dinosaure complet n’y était aperçu. Le studio Universal gardait ainsi les meilleures séquences du film secrètes. Ah ! Si seulement plus de studios adoptaient cette approche…

Et bon sang que cette approche a fonctionné ! Le film est demeuré à l’affiche en salle pendant plus d’une année ! Il était encore dans plus de 100 salles en Amérique du Nord lorsqu’il est sorti en VHS (bin oui, VHS) en octobre 1994. C’est un des derniers films avec Titanic et Le Sixième Sens à garder si longtemps l’affiche dans les salles. De nos jours, les films font le tiers de leurs revenus le premier week-end (c’est un peu la faute de Spielberg et Les Dents de la mer d’ailleurs) et sont considéré durer s’Ils restent en salle deux mois.

Tout ça, pour six minutes. Vous avez bien lu : il n’y a que six minutes d’images numériques dans tout Le Parc Jurassique. Et il n’y a que quatorze minutes de dinosaures sur une durée totale de cent-vingt-sept. Sauf que ces six minutes en 63 scènes ont servi à changer le cinéma pour toujours en prouvant une fois pour toute la viabilité des effets numériques à large échelle. Pour être trop d’ailleurs : en comparaison avec les quelques 63 scènes numériques dans Parc, Le Monde Jurassique en a 2000.

Parallèle frappant entre l’intrigue du film et son tournage : créer l’impossible via la science et la technologie et changer le monde de façons à la fois positives et négatives.

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