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Jurons, crissements et autres tabarnaks

Chroniqueur Charles Beauchesne
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Il paraît que sacrer, ou plus largement jurer, aurait un effet positif sur notre santé. Effectivement, dire des gros mots augmenterais notre circulation, élèverait notre niveau d’endorphine et nous donnerait même un certain sentiment de calme ou de contrôle alors que pognés pendant trois heures dans le trafic, et que dire du pouvoir de lâcher un bon «Tabarnak» bien senti quand on pile sur un lego la nuit. C’est presque comme une formule magique! Les mots ont bel et bien un effet sur les humains, à tel point que chaque culture possède son propre arc-en-ciel de jurons et insultes toutes plus fascinantes pour les étrangers venus de contrées lointaines. Ainsi, un Indien en colère pourrait vous traiter de «fils de hiboux», tandis qu’un Argentin qui vous aime bien pourrait vous appeler amicalement «sac à couilles», cette partie du corps qui, manifestement en argentine, synthétise le mieux le concept de l’amitié.

Vous aurez commencé à comprendre à ce point que, si dans la plupart des coins du globe les jurons ont cette tendance à tourner autour du sexe ou de la scatologie, manifestement au Québec, nous nous sommes tournés vers un vocabulaire beaucoup plus ecclésiastique quand vient le temps de manifester la colère de se cogner le pied contre une patte de lit ou de pogner un choc électrique dans le coude… Et vous serez effarés d’apprendre que nous ne sommes pas les seuls! Les Espagnols et les Catalans utilisent eux aussi le «esti» que nous affectionnons tant, mais ils le prononcent «hostia», tandis que les anglophones utilisent le fameux «Jesus Christ» mais néanmoins pas autant que les québécois qui en ont fait leur signature. Quelle est donc la clef du mystère à l’origine de nos sacres les plus «malpolis»? C’est l’énigme à laquelle je vais tenter de répondre aujourd’hui, en mettant devant ma face cette proverbiale loupe qui me donne un esti de gros oeil.

Tout à donc commencé il y a des temps immémoriaux, avec le deuxième commandement que Dieu à donné à Moïse sur le mont Sinaï dans le livre de l’ Exode: «Tu n’invoqueras point le nom de l’Éternel, ton Dieu, en vain ; car l’Éternel ne laissera point impuni celui qui invoque son nom en vain». Ce qui signifie en gros que tu ne peux pas dire «Dieu» sans raison valide. Donc techniquement, dire «mon Dieu», même de façon complètement anodine comme exclamation face à une longue file à la pharmacie ou encore un biscuit de taille inhabituelle, constituerais une expression encore plus blasphématoire que tous les «hostie» du monde. Partant de là, il semblerait que la règle du nom de Dieu se soit étendue jusqu’à son mobilier (du moins celui de l’église catholique), ce qui n’est pas nécessairement impertinent si on se rappelle que ce bon vieux Dieu est OMNIPRÉSENT, donc à quelque part, Dieu c’est aussi des meubles, de la morve, du vomi, des contravention de stationnement, mais je m’égare…

Incroyable mais vrai, certains sacres sont considérés plus puissants que d’autres. Effectivement, bon nombre d’entre vous auront observé qu’un «baptême» ou un «calvaire», n’ont pas le même impact qu’un «tabarnak» ou un «calice». Mais pourquoi cette diablerie? C’est qu’apparemment, les sacres les plus vilains sont associés à l’eucharistie, le rituel qui imite le dernier souper de boys de Jésus, où il demande à ses amis de manger son corps et boire son sang. Contre toute attente, ce cannibalisme de demi-dieu incarne la plus sainte et la plus pure des traditions catholiques, c’est donc la pire à mentionner «en vain» quand l’enfant du voisin défonce votre vitre suite à un accident de tee-ball.

Ensuite, si nos sacres fonctionnent effectivement selon une gradation en terme d’intensité, ils sont aussi extrêmement polyvalents, et vos blasphèmes préférés peuvent être utiliser de plusieurs façons:

  • Comme interjection (Hostie! Regarde moi quand je t’interjecte!)
  • Comme substantif (T’es un beau tabarnak toi mon criss d’ostie (de tabarnak)!)
  • Comme verbe (Je calice mon camp de cette boutique de produits naturels!)
  • Ou comme adverbe (Cette fille ou cette soupe es crissement chaude!)

L’HOSTIE

Représentant le corps du Christ, l’hostie était au tout début du bon vieux pain normal ( quoique béni, DONC PAS SI NORMAL QUE ÇA FINALEMENT!) dont la recette à évolué au fil du temps pour devenir ce craquelin au goût plus qu’agressivement neutre qui colle au palais. Au moyen-âge, on l’appelle l’«oublie» et celui qui le confectionne est lui-même appelé un «oublieur», ce qui historiquement a dû laisser place à des moments de slam tous aussi amusants qu’involontaires genre: «Oh non! l’oublieur à oublié ses oublies!» Mais bon, faut aimer le slam à la base… La recette des hosties de l’époque contient du vin blanc, des oeufs et du miel, ce qui devait être au moyen-âge, une excellente raison d’endurer le sermon en latin d’un dude qui monopolise avec ça la seule journée de congé de ta semaine médiévale de merde. Bref, une fois que le prêtre dit «ceci est mon corps» l’hostie n’est plus du pain mais bel et bien le corps du Christ, ressuscité, plus que jamais fils de Dieu… Mais sous forme de pain. Chacun son kink!

LE CIBOIRE

Le ciboire est un vase sacré, généralement avec une petite croix sur le top dans lequel on calice les hosties. À ne pas confondre, justement, avec:

LE CALICE

Le calice est un autre ciboire de vase sacré, où selon la tradition, le vin se transforme en sang de Jésus suite à une formule magique du curé, et ça sonne étrangement plus païen que jamais dit comme ça… À l’aube du christianisme, les calices étaient faits en matériaux communs comme le bois ou l’argile, mais au moyen-âge on se gâtait régulièrement avec des calices en argent ou en or, avec des pierres précieuses incrustées dedans, exactement le genre de truc dans lequel Indiana Jones ne devrait pas boire si il veut éviter d’être transformé en squelette. Ce que je veux dire, c’est qu’au moyen-âge, ça devait être un joyeux paradoxe que de voir un prêtre avec des grosse bagues boire du vin dans une coupe en or avec pour objectif de rappeler à tout le monde que Jésus «s’est fait pauvre parmis les pauvres». C’est probablement pour ça que les calices sont faits aujourd’hui en acier inoxydable, en poterie émaillée, et autres matériaux à base d’ennui, histoire de finalement se garder une petite gêne.

LE TABERNACLE

Le tabernacle est un meuble qui contient le ciboire, qui lui-même contient les hosties, tel un espèce d’arbre qui serait dans ses feuilles, si vous me permettez l’expression. Donc, probablement issu des premiers temps du christianisme, où les fidèles étaient persécutés et devaient pratiquer leur religion en cachette, le pain sacré était alors dissimulé dans des vases ou des meubles histoire de ne pas se faire pogner par les romains qui étaient au pouvoir… Parce que faut croire que les romains ont l’œil pour différencier le pain normal du pain sacré, deux pains tellement différents qu’ils sont pareils.

Puis, au fur et à mesure que le catholicisme devient de plus en plus ‘’mainstream’’, les gens ont commencé à placer les hostie dans des espèces de réceptacles en forme de colombe suspendus par des chaînes au-dessus de l’hôtel, mais quelqu’un a dû éventuellement réaliser que c’était super matante, et de nos jours le tabernacle ressemble plus à une petite maison. Maison qui je vous le rappelle, contient nul autre que Dieu déguisé en pain… Et à ce stade-ci je commence à me dire que Dieu a peut être juste besoin de passer un peu de temps tout seul une fois de temps en temps. Donc, en gros, quand on lâche un «tabarnak», cela revient à s’exclamer: «Domicile fixe de Jésus, avatar de Yahweh le dieu créateur momentanément transformé en galette, elles sont où mes clefs de char!»

LE CHRIST

Plus communément orthographié «criss», il s’agit du surnom messianique de Jésus de Nazareth A.K.A. le putain de fils de Dieu! Jésus serait donc né quelque part entre l’an 5 et 7 avant J-C (donc techniquement, il est né avant lui-même, et pour être honnête je trouves ça encore plus badtrippant que la fois où il est revenu du royaume des morts) et est considéré par les 19 000 dénominations chrétiennes comme étant le sauveur spirituel de l’humanité. On ne sait pas grand-chose du jésus historique, la plupart des textes ayant un point de vue plutôt magique et doctrinal sur le bonhomme, mais toujours est-Il que sa figure est emblématique du rituel de l’eucharistie dans lequel c’est son corps et son sang qu’on consomme symboliquement en célébration du jour où cet anarcho-communiste de l’antiquité qui se fait nettoyer les pieds avec du parfum par des travailleuses du sexe, est mort sur un appareil de torture romain qui en est devenu le logo officiel. Le christianisme!

LES SACRES DIÈTE

Les autres sacres ne faisant pas partie du lexique eucharistique sont blasphématoires, mais moins. On y compte en autre «Baptême», «Calvaire», «Esprit», «Sacrement», «Saint-chrême», «Simonaque» et «Torieux» qui sont tous interdit par le Vatican en plus d’être zéro satisfaisant à dire quand ta chaîne de vélo pogne dans ton bas de pentalon. Aucun avantage! Tant qu’à ça j’aime mieux «Jésus de plâtre», au moins ça sonne comme une façon funné de sous entendre un équivalent cheap à Jésus qu’on peut utiliser exclusivement pour dire des gros mots. Bonus fun fact: «Torieux» proviendrait d’une vieille expression: «Tort à Dieu», ce qui me semble un détour excessivement vague pour se magasiner des éclairs directement dans les fesses.

Il pourrait être naturel de se demander à cet instant pourquoi notre petite nation d’irréductibles francophones à choisi culturellement ce jargon religieux pour ventiler tous ces moments relatifs à une souffleuse qui part pas? Personne ne peut en être certain et il y une floppée de théories sur la raison du pourquoi; histoire, société, langue, et pourquoi pas politique? Dans son essai Du Canada au Québec – Généalogie d’une histoire (1993), Heinz Weinmann, impressionné par la «quantité du débit blasphématoire québécois», rappelle qu’à aucun moment «on n’a essayé de cerner la cause profonde de cette logorrhée blasphématoire qui parcourt le Québec». Il fait cependant état de deux dates importantes (1759 et 1837) car il s’agirait de deux moments cruciaux de notre histoire où l’église catholique du Québec aurait utilisé son autorité morale pour empêcher les francophones de se révolter contre leur maîtres anglophones. Les Québécois ne pouvant contredire ouvertement l’église auraient plutôt décidé de désacraliser ce qu’il y a de plus saint en elle pour se venger culturellement avec la plus inspirante des agressivités-passives. Sacrer serait, si cette théorie est juste, la chose la plus laïque et souverainiste qu’on aurait réussit à faire dans notre histoire, ce qui constitue la victoire la plus loser ou la défaite la plus winner dont j’ai jamais entendu parler… Et n’est-ce pas un peu ça le Québec?

 

Nos jurons de la belle province sont uniques au monde et hautement satisfaisants à crier quand on est content d’être saoul. Amusez-vous avec eux! Appropriez-vous les! Transformez les en verbe ou en adverbe! Choisissez les plus poches (comme Saint-chrême) pour faire changement, variez vos plaisirs et surtout, choisissez bien vos occasions de les utiliser. C’est une question de patrimoine après tout!

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