L’ARTISTE SLAMEUR ET POÈTE QUÉBÉCOIS FABRICE KOFFY S’ENVOLERA BIENTÔT DE L’AUTRE CÔTÉ DE L’OCÉAN POUR UNE TOURNÉE EUROPÉENNE. ON A PRIS LE TEMPS DE LUI POSER QUELQUES QUESTIONS AVANT SON DÉPART.
Bonjour Fabrice! C’est un plaisir de faire ta connaissance. Fabrice, on discute ensemble aujourd’hui parce que, dans quelques jours, tu quitteras le Québec pour débuter une tournée européenne. Qu’est-ce que tu t’en vas faire exactement de l’autre côté de l’océan et où vas-tu précisément? Bonjour et merci de m’accorder ce temps. Alors ce sera une escapade en Allemagne (Berlin), en Suisse (Berne, Genève) et en Autriche (Vienne)! Mon agent, Normand Delinelle (MC JUNE), de la compagnie Cent Onze, a beaucoup bossé pour m’organiser ce séjour. J’y serai trois semaines pour des ateliers en milieu scolaire, des ateliers de slam poésie et des spectacles en salles dans ces différents pays. Pouvoir le faire en français donne de la valeur à notre ensemble que représente la francophonie. Comme s’il n’y avait plus de frontières ou plutôt comme s’il y avait un pont. Alors nous pouvons nous y rencontrer.
Les gens de la francophonie européenne te connaissent-ils un peu ou c’est une première fois pour toi là-bas? J’ai eu le plaisir de rencontrer certains membres de la francophonie à Québec en 2012 et en Abidjan en 2016-2017. Ce sera la première fois, néanmoins, en Europe.
Quelles sont tes attentes? As-tu des trucs que tu t’es mis comme objectifs? Vas-tu en profiter pour prendre un peu de temps pour toi? Très peu d’attentes, je te dirais; plein de curiosité je suis. Les paysages, les villes historiques, les gens, leur quotidien… Impatient de rencontrer les élèves, de partager la poésie, de rencontrer un nouveau public. Aucun objectif non plus, être le plus ouvert possible et le plus présent durant le séjour. Je profiterai des quelques temps libres pour travailler sur mon album (avec mon compère guitariste Guillaume Soucy qui sera avec moi) et déambuler dans les rues m’en mettant plein les yeux!
Aujourd’hui, après avoir passé autant d’années à Abidjan qu’à Montréal... j’ai réellement deux maisons.
Fabrice, tu es originaire de la Côte d’Ivoire. Pourquoi as-tu choisi le Québec comme deuxième maison? (Il sourit) J’ai grandi en Côte d’Ivoire oui, mais je suis née au Canada, toutefois, à l’hôpital général d’Ottawa. Mes parents y étaient à l’époque et nous sommes rentrés en Côte d’Ivoire quand j’avais environ deux ans. J’ai toujours entendu qu’après mon baccalauréat francophone (examen de passage à l’université), j’irais étudier là-bas… toute ma jeunesse. Alors après le bac, Montréal pour l’université était une évidence! J’ai toujours eu intuitivement une connexion avec cet ailleurs qui était aussi chez moi. Aujourd’hui, après avoir passé autant d’années à Abidjan qu’à Montréal… j’ai réellement deux maisons.
Et tu as débuté tes études ici et ta carrière d’artiste slameur a débuté en 2003 avec Kalm Unity Vibe Collectiv, en 2004. Tu collabores toujours avec ce collectif-là, dis-moi? Parle-moi davantage du groupe, pour ceux qui ne le connaîtraient pas. Oui, c’est un collectif de musiciens et de musiciennes à Montréal. Ce qui les caractérise serait leur approche de la musique. Ceux qu’ils définissent comme « organic live improv » de la musique live et complètement improvisée sous vos yeux et dans vos oreilles. Des artistes, des chanteurs, des poétesses, des rappeurs ont la charge de mettre des mots sur la musique… Ils créent des chansons, ce n’est pas un jam, ils trouvent un thème et créent une chanson. Les rythmes vont du jazz, blues, à l’afrobeat en passant par le rap, le funk, l’house music… Tous les mardis au petit Café Campus, c’est de la pure magie. […] Alors que je finissais mes études en 2003, j’allais commencer à travailler quand, un mardi, un ami me propose d’aller écouter de la musique, des poètes… Ce fut un bouleversement dans ma vie qui semblait tracée. Je suis retourné voir le collectif tous les mardis pendant un an. Puis en 2004, j’ai pris mes textes (j’écrivais pour passer le temps depuis l’adolescence) et je suis passé de l’autre côté, celui opposé au public. J’ai fermé les yeux… fait mon texte sur la musique et… je n’ai plus arrêté depuis.
En solo – ou presque –, tu as lancé ton album Poesic, en 2009, en collaboration avec le musicien Guillaume Soucy. Parle-moi de votre rencontre et de cette belle relation qui s’est créée par la suite avec Guillaume. Oui mon album Poesic, quelle belle aventure. Alors nous sommes en 2004, j’ai de temps en temps à performer dans de petites occasions et j’avais l’habitude de piocher dans la quantité de choix qu’offrait le collectif. Mais, cette fois-là, aucun étant disponible, une amie me propose un guitariste qu’elle connaît. Ç’a bien été bien qu’il n’y avait pas eu de répétition, son attention aux textes, la façon dont je plaçais les mots entre ses notes, ses mélodies… On a donc continué à se voir pour partager de la musique, apprendre à se connaître jusqu’à l’idée naturelle de présenter à nos proches notre travail. La rencontre fut en 2006 et nous sortions l’album Poesic en fin 2009. La poésie est devenue plus sérieuse après ça.
Ton premier opus fête son 10e anniversaire cette année… À quoi tu penses quand tu vois/constates tout le chemin parcouru dans la dernière décennie? Youhou! Je n’avais pas réalisé du tout… qu’il est vraiment temps qu’il sorte, le deuxième. (Rires) Je pense – même si ce n’est pas facile tous les jours – que je suis heureux d’avoir choisi le chemin sur lequel je suis, d’avoir choisi ma vie. Dix ans, c’est beaucoup. Et dix ans, ce n’est rien du tout. Je me sens comme un enfant qui apprend. Un enfant de dix ans qui a beaucoup à apprendre et, après dix ans, je me considère encore au début et impatient de continuer à me développer, à apprendre.
En 2010, tu as publié un recueil, Village mental. Veux-tu m’en dire plus? C’est un recueil de poésie? J’ai eu en effet la chance d’être approché par une maison d’édition avec laquelle j’ai pu travailler pendant quelques mois afin d’arriver à une version de moi sur papier. Mes textes sont principalement destinés à l’oral. Cours textes poétiques, introspection, slam. Village mental donne un aperçu de qui je pourrai être.
Qu’est-ce qui t’attire dans la poésie, justement? Le défi, peut-être, de faire danser les mots, de faire en sorte qu’ils soient sur la même longueur d’onde, qu’ils soient égaux d’une certaine façon en termes de syllabes et de sons, mais pas en termes de force… Pour moi, la poésie, c’est le rien qui soutient le tout, le vide qui soutient la Terre. Intuitivement, ce qui m’intéresse dans la poésie, c’est le reflet de nous, de l’autre après avoir mis ou lu l’émotion sur une feuille. C’est le message qu’on y lit et les portes de l’imaginaire qui éclatent. C’est cette façon que l’on puisse se voir, se comprendre, se guérir en réussissant à écrire nos sentiments les plus inconfortables ou les plus euphoriques. J’adore les jeux de mots, de sons, d’images qui sont nécessaires à la poésie. Et dans la poésie, ce qui m’intéresse, c’est l’espoir qu’elle fait entrevoir.
Je dis souvent à la blague que j’ai une maladie dans la vie : celle de voir les mots défiler au fur et à mesure que les gens parlent, comme des sous-titres, dans ma tête… Est-ce que tu as le même genre de réflexe, dis-moi? L’espèce d’urgence quand tu parles ou quand tu lis que tout doit ressembler ou s’entendre comme un poème? Belle maladie que celle-là! Je ne dirai pas que j’en sois atteint non, c’est ton pouvoir magique ça; j’entends plutôt leur rythme, ou rythmique, leur cadence… Ça donne l’effet d’entendre des poèmes souvent.
Sinon, qu’est-ce qui t’attend pour les prochains mois côté projets en tous genres? Pendant la tournée, je travaillerai sûrement sur l’album comme je l’ai dit avant, beaucoup d’édition musicale et de travail sur les textes, pour au retour se mettre en mode studio quelque temps. Parallèlement, je reprendrai mes ateliers dès mon retour, puis ce sera Montréal jusqu’à la fin de l’année scolaire. Merci Cent Onze! Et vivement le soleil d’été!