Et si…
« Je me nomme Isabella Pança et j’ai en ma possession le carnet de notes de voyage de mon fils, Mateo Pança, qui fut matelot et scribe à bord du Santa Maria commandé par le capitaine Cristόbal Colόn. Bien que l’expédition fut réputée perdue âmes et biens lors de son voyage exploratoire vers les Indes, je détiens une preuve qu’une nouvelle terre fut découverte et dont l’existence demeure insoupçonnée jusqu’à présent. Si vous voulez bien me recevoir, je m’engage à vous remettre ledit document et de vous expliquer les circonstances extraordinaires entourant sa découverte… »
– Extrait d’une lettre destinée au Gouverneur de Séville, juin 1502
Notes de voyage
Mateo Pança
9 août 1492
Après une courte escale aux îles Canaries pour s’y ravitailler, changer la voilure et réparer le gouvernail du Santa Maria, le voyage vers les Indes devrait bientôt commencer. J’ai hâte de partir à l’aventure.
27 août 1492
L’escale se prolonge. On en est au 18e jour. Les réparations sur le gouvernail sont trop importantes pour que ce ne soit qu’une simple avarie. Je commence à croire la rumeur qui circule, à savoir que nous avons été victimes d’un sabotage de la part d’opposants à notre voyage d’exploration.
13 septembre 1492
Aujourd’hui, j’ai franchi le point ultime où les terres européennes les plus occidentales sont disparues sous l’horizon. Je vogue enfin vers l’inconnu. Le capitaine Colόn suit une route qui nous fera profiter des alizées pour arriver à destination. La Pinta et La Niña nous escortent.
1er octobre 1492
Toujours pas de terre en vue! La grogne de l’équipage devient de plus en plus difficile à ignorer. Le capitaine m’a demandé de l’aider et de tenter de les occuper au maximum pour qu’il n’ait pas trop la tête aux pensées oisives qui ne font qu’alimenter leur mécontentement. Je fais tout ce que je peux.
Le capitaine de La Pinta, Martin Alonso Pinzόn, est aux prises avec les mêmes problèmes et je ne crois pas qu’il s’en sorte aussi bien que nous. Malgré la distance, j’ai été témoin d’une bagarre qui a presque mis le feu à son navire…
11 octobre 1492
Au loin, vers le sud-ouest, des lumières inconnues sont apparues dans le ciel! Ce présage extraordinaire a redonné espoir à l’équipage.
12 octobre 1492
Les lumières sont réapparues ce soir et se sont approchées. Elles étaient au nombre de sept. Tous les hommes étaient sur le pont pour admirer ces choses incroyables qui flottaient doucement dans l’air tout autour de nos caraques. Bartolomé De Las Casas, le représentant de l’Église à bord, a déclaré que le Seigneur nous avait envoyé des anges pour nous guider. Après la moitié d’une heure, les sept lumières se sont élancées vers l’ouest à une vitesse qui dépasse tout ce qu’il m’a été donné de voir auparavant. À l’aube, la vigie nous a annoncé que la terre était en vue!
Le capitaine a fait jeter l’ancre au large d’une petite île paradisiaque. Il m’a choisi pour l’accompagner à bord d’une barque avec les deux autres capitaines ainsi que trois autres hommes.
13 octobre 1492
L’île était habitée… dès l’instant où nous avons reçu l’ordre de planter la bannière frappée de la croix sur cette terre d’apparence vierge et de la déclarer possession de la couronne, un trait de feu rapide comme l’éclair a jailli des tréfonds de la végétation bordant la plage et l’a fait voler en éclats. Un instant plus tard, des centaines de tirs enflammés ont convergé sur nos navires et les ont réduits en cendres. J’ai vu quelques marins se jeter par-dessus bord, mais je ne sais pas s’ils ont survécu. Il m’a été impossible de m’en assurer, car peu de temps après, une dizaine d’hommes sont sortis des taillis environnants. Ils portaient des armures étranges faites de lanières métalliques flexibles et tenaient de courts javelots dont l’extrémité crépitait comme des tisons sortis du brasier. Ils nous ont facilement maîtrisés et forcés à les suivre. Je crois que je ne reverrai pas l’Espagne de sitôt.
14 octobre 1492
J’ai essayé d’en apprendre un peu plus sur nos ravisseurs. Je crois qu’ils disent s’appeler Arawaks. Même si je ne saisis rien à leur langue, ils sont capables de se faire comprendre en utilisant une sorte de pierre noire polie qui laisse apparaître des images et qui produit des sons. À force de signes, j’arrive à communiquer de manière sommaire avec eux. Mais je ne veux pas trop les bombarder de questions, car ces gens sont détenteurs d’une magie terrifiante qu’ils n’hésiteront pas à utiliser si je les harcèle trop. Après une demi-journée de marche dans la jungle, les membres de notre corps expéditionnaire ont été menés devant ce qui semblait être un gros oiseau métallique de la taille d’une église. Le ventre de l’oiseau s’est ouvert pour laisser apparaître un escalier. Les Arawaks nous ont forcés à monter dans la créature de fer, qui s’est par la suite élancée dans le ciel en rugissant.
19 octobre 1492
Je ne m’étais pas trompé. Je ne reverrai jamais ma patrie. Il est inutile de vouloir conquérir ce peuple de sorciers. Nous n’avons rien à leur proposer ni encore moins à leur opposer. Depuis les hauteurs, à travers les yeux de l’oiseau, j’ai pu voir les villes qu’ils habitent. Elles s’étendent à perte de vue et font paraître Séville ou Barcelone comme de simples bivouacs.
À l’aide de leurs pierres magiques, j’ai fini par comprendre que les Arawaks sont alliés d’un empire appelé Maya. Demain, nous serons amenés dans la capitale de cet empire pour y être présentés au roi.
2 mai 1493
Après l’exécution des trois capitaines qui ont tenté de s’échapper, on m’a interdit de retourner en Europe. J’ai toutefois été autorisé à m’établir parmi eux. Le roi m’a aussi accordé la faveur de faire parvenir ces notes à ma famille afin de laisser une trace de mon histoire. Elles seront placées à bord d’un de ces engins lumineux que j’avais vus lors de notre arrivée. Comment fera-t-il pour retrouver mon village natal? Cela je l’ignore. Néanmoins, avec les merveilles dont j’ai été témoin ici, je ne doute pas qu’il se rendra à bon port.