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EN BOBETTE DANS LE SOUS-SOL

Kim Lavack Paquin
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Jeune garçon, il m’est arrivé d’aller voir des galas de lutte au sous-sol de l’église Immaculée-Conception avec mon père. C’est lors d’une de ces occasions, dans la file en allant se chercher une liqueur, que nous avions croisé Maurice Mad Dog Vachon. Je crois que c’est la seule fois que j’ai vu mon père impressionné par quelqu’un. À 10 ans et déjà grand amateur de catch professionnel, mon pref à moi devait être, à ce moment-là, The Ultimate Warrior. Pour le court temps qu’allait durer cette folie de jeunesse, durant laquelle il m’arrivait de m’attacher des lacets en haut des biceps. Bien sûr, je connaissais quand même Maurice, même s’il s’agissait d’un lutteur d’une autre époque. Je comprenais la face de mon père et la poignée de main, ferme et solennelle, qu’il lui tendit. Si j’étais moi-même tombé sur un de mes lutteurs préférés, ne serait-ce que Koko B. Ware et son perroquet, j’pense que j’en aurais pisé dans mon short EverLast. 

J’adorais ces galas amateurs. Le murmure constant et l’ambiance bon enfant. Les bonhommes qui grouillaient sur leurs chaises en riant gras. Alors que les plus jeunes, comme moi, profitions d’un peu de liberté avant que le spectacle ne commence. Puis, enfin arrivait ce doux point de friction où l’humour embrasse la violence alors que, soudainement et tous en cœur, on pouvait se permettre d’agir en sauvage en criant des insultes à un Marcel quelconque qui, par une belle soirée d’été, avait eu l’idée folle de se mettre en collant, avec des plumes dans l’cul, pour aller jouer le méchant dans un sous-sol d’église. Que Dieu bénisse ce Marcel.

RETOUR AUX SOURCES

L’été dernier, je suis allé voir un gala qui, à défaut d’avoir lieu dans un sous-sol d’église, se déroulait dans une salle d’un petit centre sportif. C’est là que ça se passe asteure, à ce niveau-là en tout cas. Fini les sous-sols d’église. En revanche, la lutte va très bien au Québec et il y en a aux quatre coins de la province, pour tous les goûts et de tous les calibres. Du Diamant à Québec en passant par l’aréna de Métabetchouan. Permettez-moi de ne pas faire la liste et le « ranking » par calibre de ces multiples ligues. Ce n’est pas le but de cette chronique. 

À noter aussi que j’y suis allé avec des Français en visite au Québec. Disons simplement qu’ils n’avaient aucune idée dans quoi ils s’embarquaient… Juste pour ça, ça a valu le déplacement.

Revenons plutôt à mon gala… J’y étais allé pour retrouver ce côté amateur et bon enfant que j’appréciais tant plus jeune. Je l’avais retrouvé, il y a quelques années, dans des églises de Pointe-Saint-Charles et dans Hochelaga. J’étais curieux de voir où en était rendu le spectacle de ce genre de ligue amateur. C’est quand même un déménagement que je considère significatif. Pour moi, un centre culturel ou un centre sportif – bref, un gros gymnase –, ce n’est pas comme un sous-sol d’église. J’avoue que je me suis découvert une nostalgie certaine sur la question.

DE LA BOUCANE PIS DES JEUX DE LUMIÈRE

Pour la qualité du spectacle, je suis resté mi-figue mi-raisin. D’un côté, le calibre était aussi poche qu’avant, ce qui en soi ne me dérange pas du tout, c’est même plutôt ce que je recherchais. En revanche, soudainement, y a un écran géant, des lumières pis de la boucane; bref, une production derrière tout ça. Pour moi, c’est comme une poutine gratinée. J’aime le gratin, j’aime la poutine, mais comment dire… Si je viens voir un vieux de 57 ans, pas en forme et blanc comme un drap, en Speedo de surcroit, faire des prises approximatives à un jeune colosse de 237 livres qui fait comme si l’autre le torturait… J’aime ça et c’est drôle, mais je préfère être assis sur une petite chaise en bois qui grince, avec les lumières de la salle toutes allumées, surtout pas de « spot light », et je veux voir les gars aller se changer derrière un drap pis après boire leur bière sur le côté. Mais ça, c’est moi. 

Cela étant dit, nous avons eu beaucoup de plaisir. J’en profite pour lever mon chapeau à tous les lutteurs qui participe à ces galas. Ce n’est pas moi qui se serais mis en collant c’te soir-là.  

LA QUESTION À 100 PIASTRES

Bien sûr, ça gueulait des insultes à tout vent et des quatre coins de la salle s’entonnaient des menaces et des sobriquets aussi colorés que vulgaires. C’est surtout cet aspect qui a charmé, pour ne pas dire flabergasté, mes amis français. En sortant, un d’entre eux m’a demandé – et là, je résume son envolé – d’où nous venait la tradition d’embarquer autant dans la mise en scène et de s’abandonner au jeu comme si c’était vrai, malgré un décorum aussi « amateur » et truqué de surcroit?

Même si la réponse peut nous sembler tellement évidente qu’il est difficile de mettre des mots dessus, la question mérite quand même d’être approfondie.

MYTHOLOGIE QUAND TU NOUS TIENS

Les Mésopotamiens se racontaient Gilgamesh, qui, entre deux orgies et autres exploits, aurait vaincu à mains nues le géant Humbaba dans un combat sanglant. En Grèce antique, ils aimaient raconter, en jaquette autour du feu, la fois où Ulysse a crevé l’œil du cyclope. Bref, la mythologie, en général, regorge de ces bagarres épiques. À travers ces récits héroïques, l’être humain se raconte ses aspirations et ses peurs. Le bien contre le mal. Le nous versus l’envahisseur. Ça baigne dans le sang et sa frôle la mort. Des thèmes immuables à notre condition humaine. Ainsi, on pourrait faire le tour du monde et revenir de chaque village avec une histoire de bataille épouvantable qui se serait passée jadis. 

La Nouvelle-France n’y échappe pas, comme en fait foi notre folklore. Par exemple, un Joe Montferrand, qui, pour défendre les droits des travailleurs Canadiens-Français, aurait attrapé un chêneur irlandais par les pieds et, l’utilisant tel un gourdin, aurait balancé plus de 150 de ces « voleurs de job » par-dessus le parapet du pont Union, les projetant ainsi dans les eaux écumantes de la Chaudière. 

PUIS, VINT LA LUTTE…

La lutte professionnelle était, dès ses débuts, une affaire très territoriale. On jouait sur le nous contre les autres pour stimuler l’intérêt du public local. Petit à petit, les mises en scène se sont raffinées et les héros locaux sont devenus porteurs d’une symbolique quasi-mythique. Avant Maurice Richard, c’est le lutteur Yvon Robert, dans les années 40, qui fut la première vraie idole des Canadiens-Français, portant le flambeau d’un peuple à la recherche de héros, à l’instar du CH qui abreuvait une population assoiffée de petites victoires. Faut dire que les deux se faisaient rares dans le quotidien des Québécois de l’époque. On avait l’impression de toujours devoir plier l’échine et de tout avaler. Tu ne pouvais rien dire à ton landlord, rien dire à ton foreman, rien dire au curé… Et, soudainement, on te laissait lâcher ton fiel sur un gros lard habillé en Cosaque qui venait essayer de faire mal à ton compatriote. On te laissait même sacrer au sous-sol de l’église!? Il ne s’en fallait pas moins pour que ça devienne drôle et qu’on se laisse prendre au jeu.

UNE COCHE DE PLUS

15 octobre 1952. Le forum est plein à craquer. Ça sent la cigarette, la sueur, pis le brylcream. Vladek « Killer » Kowalski affronte Yukon Éric en grande finale. Prenant l’ascendant dans le combat, Kowalski grimpe dans un des coins et, du haut du deuxième câble, se laisse tomber, le genou directement à la tête de Yukon Éric. Le genou de Killer vint coincer l’oreille d’Éric et celle-ci est allée revoler au centre du ring. L’arbitre, Sammy Mack, pensant que c’était là un objet lancé par un spectateur, l’a mise tout bonnement dans sa poche. Puis, réalisant ce qui venait d’arriver, il ressortit l’oreille… C’est alors qu’il se décida à arrêter le combat. 

Un tel incident sanglant, lors d’un combat aussi médiatisé, allait faire couler beaucoup d’encre et donner du gaz à ce sport-spectacle jusque-là encore un peu coincé entre l’image d’un sport légitime et celle d’un spectacle arrangé par le gars des vues. Aussi, cette aura de violence potentielle, sinon réelle, même dans un combat « arrangé », joue sur l’inconscient. C’est un élément essentiel de la lutte pour arriver à créer chez le spectateur ce qu’on appelle la suspension consentie de l’incrédulité, c’est-à-dire l’opération mentale effectuée par une personne pour qu’elle accepte, momentanément, de mettre de côté son scepticisme et de croire à l’histoire qui lui est racontée, même si elle la sait essentiellement fausse. Bref, pour se laisser prendre au jeu l’instant d’un gala de lutte. 

ON AJOUTE UNE COUCHE

Il n’a pas fallu attendre bien longtemps avant que les lutteurs se menacent de s’arracher les oreilles et de se crever les yeux. D’ailleurs, quelques années plus tard, pour un combat entre Maurice Mad Dog Vachon et ce même Killer Kowalski, le premier annonça vouloir venger Yukon Éric et arracher à son tour l’oreille de son rival, tout en garantissant sa victoire. Faute de quoi, Maurice annonça qu’il se suiciderait, rien de moins! Pour démontrer le sérieux de sa promesse, il alla jusqu’à se passer une corde autour du cou, en mimant son intention devant les caméras de télévision. Du jamais-vu à l’époque. Puis, dans les années 70, avec une présence accrue à la télévision, les personnages et les costumes sont devenus encore plus flamboyants et les insultes, encore plus virulentes. On misa sur la rivalité et le maniement du micro pour vendre des tickets. La popularité de la lutte explosa en Amérique du Nord.

POURQUOI PAS NOUS

Une fois qu’on voit ça à la télé, naturellement, t’as comme envie de faire ça dans ton salon. Et tant qu’à faire ça dans ton salon, pourquoi pas faire ça semi-sérieux, entre chums, dans un gym. Rendu-là, la ligne est mince et tu la traverses. C’est ainsi qu’un peu partout au Québec; des hommes se sont confectionné des costumes avec des vieilles combines pour aller lutter dans un sous-sol d’église, au profit du club optimiste de la place. Nous revoilà donc à notre lieu de départ. La moitié du public, c’est la famille pis les amis. Le quart sont des enfants… Bruno, le gars que tout le monde aime, arrive, drapé d’un drapeau du Québec. Il affronte Calypso Mario dit « The Gipsy Snake », qui porte le léotard léopard de sa femme et affiche des faux tatous vaudous partout sur le chest. En embarquant sur le ring, il y est allé d’une mise en scène entrecoupé de longueurs inconfortables où il a fini par sacrifier un poulet devant un Marcel envoûté… Voir que tu ne t’abandonnes pas à lui crier quelque chose comme : « M’a te l’rentrer dans l’cul ton ostie d’poulet! » 

Parce que, dans le fond, si on n’embarquait pas… ce serait « weird » en ostie!

NOSTALGIE QUAND TU NOUS TIENS

Les mesures prises, on a tondu le gazon, planté les pieux et tendu les cordes. Là, on s’est mis en bedaine, pis on s’est tabassé à coups d’atémis et de souplesses par en arrière, devant une foule en liesse de maringouins et un beau crépuscule des Laurentides. On pratiquait nos prises : la prise en 4, la prise du dromadaire et, ma préférée, la double Nelson. Quatre ti-culs, entre 6 et 8 ans, qui rient comme des fous entre deux « ayoye »! On n’était pas peu fiers de notre « set-up » même si c’était trop bancal pour pouvoir monter et se lancer du haut de la troisième corde, comme Jimmy Superfly Snuka savait si bien le faire. Éventuellement, on s’est quittés pour aller souper, tout éraflés et les genoux en sang, en se donnant rendez-vous le lendemain. C’était devenu sérieux. Si on voulait faire la WWF un jour, pas le choix de continuer l’entrainement. 

Après avoir pansé nos blessures et dormi en rêvant à la ceinture, mon frère et moi sommes arrivés le lendemain à l’heure prévue. De toute évidence, un terrible drame s’était produit en notre absence. Devant nous, il ne restait plus que le carré tondu dans l’herbe longue au milieu du champ. Notre beau ring à ciel ouvert avait été lâchement démonté. Nos deux adversaires n’ont même pas eu le courage de venir nous expliquer les faits de visu. Ils se sont contentés de nous regarder par la fenêtre, l’air abattu. Éventuellement, leur mère est sortie nous crier de rentrer chez nous, nous disant qu’on ne pouvait plus jouer avec ses enfants. On trouvait que c’était une réaction franchement exagérée. Maintenant que j’y pense, c’est vrai que mon frère était rendu debout sur le capot de leur voiture et « flexait » ses muscles en montrant ses dents alors que moi, tel un enragé, j’avais éparpillé leurs poubelles à la grandeur du « driveway » et me déchirais le t-shirt en les traitant… disons de poules mouillées! Nous étions encore dans nos personnages de lutteurs et tentions simplement de faire rire nos camarades. Définitivement, cette dame-là ne comprenait rien à la lutte. 

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