Découverte ou supercherie
Depuis le printemps dernier, une rumeur circule sur les sites dédiés aux Ovnis : des momies possiblement d’origine extraterrestre auraient été découvertes près de Nazca, au Pérou.
Fin 2015, des pilleurs de tombes, des huaqueros, annoncent en effet avoir découvert une nécropole contenant plusieurs momies. Ces dernières, affirment-ils, sont de tailles variées. Certaines font 1,6 mètre et d’autres à peine 40 centimètres. Elles présentent toutes des déformations crâniennes et n’ont que trois doigts et trois orteils, anormalement longs.
Par un concours de circonstances, plusieurs de ces momies se retrouvent entre les mains de Paul Ronceros Ferandez, un illuminé membre d’une secte christiano-ufologique appelé « Alpha et Omega ». Muni de deux de ces momies – de la taille de poupées Barbie –, Fernandez essaie d’intéresser des musées locaux. Il affirme que ces corps sont ceux d’extraterrestres momifiés, voire pétrifiés, au fil des siècles. Il faut savoir qu’au Pérou, les « musées » ne sont souvent que des sites d’exhibition où l’on présente des artefacts plus ou moins authentiques et obtenus de manière nébuleuse. Rien à voir avec le Louvre ou le British Museum. Mais ces musées ne manifestent aucun intérêt pour les momies de Fernandez. C’est leur origine extraterrestre qui soulève des doutes (on se demande bien pourquoi). Fernandez change alors de discours. « Ces momies, dit-il, sont plutôt des fabrications artisanales créées par les anciens Nazcas pour se remémorer la visite d’extraterrestres. » Cette nouvelle version ne soulève guère plus d’intérêt. C’est à ce moment-là que Fernandez s’associe à Thierry Jamin.
Thierry Jamin est un aventurier français qui vit au Pérou. Il se présente souvent comme un archéologue (même s’il n’en a pas la formation). Il dirige une petite société, Inkari, dont le principal objectif est de retrouver Gran Païtiti, une cité légendaire perdue dans la jungle amazonienne. Jamin, plus familier avec les médias (conventionnels et sociaux), plonge dans l’affaire qu’il baptise de facto Alien Project (Projet extraterrestre), et ce, avant même qu’une seule analyse ne vienne appuyer l’origine exotique de ces momies. À ce moment-là, il y a pourtant de l’eau dans le gaz. Depuis des semaines, une radiographie montrant une main démesurée – celle de l’une des soi-disant momies extraterrestres – circule sur le Web. L’image montre que cette main n’est rien d’autre qu’un mauvais travail d’assemblage amateur et artisanal. Mais cette arnaque ne décourage pas l’aventurier.
Des associations douteuses
Rapidement, on voit se greffer autour de Jamin des personnages sulfureux. Parmi eux, un scientifique russe, Konstantin Kototkov, qui a commercialisé un appareil capable de prendre des clichés de l’âme, et un journaliste mexicain, Jaime Maussan, impliqué dans à peu près toutes les fraudes liées aux ovnis des 10 dernières années. Comme plateforme médiatique, Jamin s’associe à GAIA, une chaîne de télévision internet qui se spécialise dans la diffusion de reportages ésotériques et pseudoscientifiques. Cette aventure, que Jamin qualifie de « scientifique », prend de plus en plus des allures de cirque.
En juillet 2017, à l’issue d’un gros tapage médiatique, l’une de ces momies, baptisée Maria, est présentée à la presse. Il s’agit d’un corps recroquevillé en position fœtale enrobé d’une espèce de gangue blanchâtre ressemblant à du plâtre. Les organisateurs insistent particulièrement sur ses trois doigts et ses trois orteils démesurés. Quelques jours plus tard, comme une mécanique bien huilée, GAIA présente un reportage sur les momies péruviennes et le mystère de leurs origines. Les radiographies de Maria montrent clairement une momie humaine. La seule différence est sa dactylie insolite. Pour les autres momies, les plus petites – dont la taille varie de 40 à 70 centimètres –, ces créatures ressemblent à un mauvais travail de bricolage; une invraisemblance pour des êtres vivants : des jambes et des bras sans articulation et des os sans liens entre eux. Bref, des chimères dignes d’un freak show.
ces créatures ressemblent à un mauvais travail de bricolage; une invraisemblance pour des êtres vivants
Science… et science
Si l’affaire excite les amateurs d’extraterrestres, les milieux scientifiques, eux, sont beaucoup moins enthousiastes. On s’étonne que des gens puissent être aussi naïfs : Maria n’est visiblement qu’une momie humaine que des vandales ont amputée de deux orteils à chaque pied et de deux doigts à chaque main (incluant le pouce). Quant aux plus petites, elles sont des rafistolages de mauvaise qualité d’os humains et d’animaux. Mais ce qui choque le plus les scientifiques – et particulièrement les archéologues –, c’est la destruction du patrimoine péruvien à des fins mercantiles.
Des spécialistes en momies précolombiennes font bientôt circuler une déclaration dénonçant cet Alien Project comme une vaste supercherie. Ils ajoutent que la manière de traiter et d’étudier ces momies ne respecte aucune méthodologie scientifique. C’est du banditisme archéologique.
Dans la foulée – par « souci de transparence », disent-ils –, les responsables du Alien Project publient, à l’été 2017, les premiers rapports scientifiques réalisés sur des échantillons des momies. Toutes les expertises vont dans le même sens : l’ADN est celui d’homo sapiens (humain) et l’âge des échantillons oscille entre 1600 et 1800 ans. Malgré ce verdict, Thierry Jamin et ses collègues continuent d’entretenir le mystère sur la nature des momies.
Arnaque ou véritable mystère
Dans ses présentations, Thierry Jamin joue la carte du « bon gars » motivé par un authentique désir d’éclaircir cette histoire, mais ces présentations sont partisanes et truffées d’interprétations abusives. D’un côté, il invite les scientifiques du monde entier à aller au Pérou pour voir lesdites momies, et, de l’autre, il omet de dire qu’il a décliné toutes les offres des laboratoires qui lui ont proposé de faire des contre-analyses gratuitement. En conférence, il ne mentionne à peu près pas les analyses ADN et les datations au C14… Et quand il le fait, il s’empresse d’ajouter que ça ne signifie rien. Pardon? Jamin évite également de parler de protocole scientifique. Il accuse ses détracteurs de le traiter « d’escroc », mais refuse de reconnaître que la façon dont a été menée son enquête tient d’un amateurisme éhonté. S’il n’était pas lui-même visé par la critique, il serait le premier à décrier cet épouvantable cafouillage.
J’aimerais bien croire que des corps extraterrestres ont été découverts au Pérou. Malheureusement, tout pointe en direction d’une supercherie. La seule présence de Jaime Maussan dans l’orbite de ces momies est suffisante pour mettre en sourdine un cortège de camions de pompiers, sirènes hurlantes. Même du bout des lèvres, Thierry Jamin commence à émettre des doutes quant à l’authenticité de ces momies. Il faut savoir aussi que ces « artefacts » demeurent la propriété de « Mario », ce huaquero qui a apparemment découvert la nécropole. Or, cet énigmatique personnage n’a qu’un seul souci en tête : tirer profit de cette histoire. Aux dernières nouvelles, il aurait demandé 1 M$ pour la momie de Maria. Quant au gouvernement péruvien, la messe est dite : toute cette histoire n’est qu’une supercherie.
Alexandre Pouchkine disait : « À une vérité ténue et plate, je préfère un mensonge exaltant. »