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De Eveready Harton à Sausage Party : l’animation pour adultes

Nicolas Lacroix
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On a longtemps (trop longtemps, probablement) associé le cinéma d’animation au divertissement pour enfants. Et malgré quelques incursions dans l’animation pour public mature entre 1928 et le milieu des années ‘30 (parfois très mature, même), c’était effectivement un produit destiné aux enfants ou, du moins, à la famille.

Le code Hays, un règlement de production adopté par Hollywood, est venu s’assurer, dès 1934 et jusqu’en 1968, qu’aucune transgression morale ne viendrait entacher le cinéma, incluant le cinéma d’animation. Établi par le sénateur républicain (et, il va sans dire, conservateur) William Hays, le code applique une autocensure au cinéma qui empêchera d’autres productions telles que Eveready Harton in Buried Treasure, un court de 1928 très sexuellement explicite.

Ce même code transforma l’une des premières icônes sexy du film d’animation: le personnage de Betty Boop. Naïvement sexy avec ses robes très courtes et ses bretelles spaghetti, Betty Boop dut être assez radicalement transformée après 1934, pour respecter le code.

Ce n’est donc qu’à partir de la fin des années soixante que le cinéma a vraiment commencé à produire du contenu plus adulte, soit par ses thèmes, soit par la violence ou la sexualité explicite, parfois tout ça en même temps. Le fameux code fait place au système de cotes d’âges que l’on connaît aujourd’hui pour classer les films, ce qui ouvre la porte à plus d’audace chez les cinéastes.

Aux États-Unis, celui qui a fait le plus pour rendre l’animation un produit pour adultes est probablement le cinéaste Ralph Bakshi. Du début des années soixante-dix jusqu’au milieu des années quatre-vingt, Bakshi avait la main dans pratiquement tous les films d’animations occidentaux pour adultes. Son tout premier film, Fritz the Cat, fut le premier film d’animation américain à être coté « X » pour contenu sexuel, usage de drogue et violence (entre autres). À son lancement en avril 1972, Fritz the Cat devint rapidement le film d’animation indépendant le plus fructueux de l’Histoire.

Les années suivantes, Bakshi poursuivit sa quête de créer de l’animation pour public averti avec des production comme Hey Good Lookin, que Tarantino dit préférer à Mean Streets de Scorsese. En 1976, il se tourna vers le cinéma fantastique, avec les films Wizards puis la première adaptation animée du Seigneur des anneaux, en 1978. Malheureusement pour le cinéaste, Bakshi n’obtint jamais le financement pour la suite, lui qui n’avait pu adapter que la moitié de la saga dans le premier film.

Le dernier long-métrage de Bakshi pour le cinéma fut Cool World en 1992, un hybride d’animation et d’acteurs (dont Brad Pitt et Kim Basinger) qui se voulait, encore là, une version plus adulte de Who Framed Roger Rabbit, mais qui ne fut finalement qu’un flop couteux. Il se tourna ensuite vers la télé.

Si Felix the Cat fut le premier film d’animation américain classé X, c’est à un film japonais que revient l’honneur d’un classement X mondial : Cleopatra, Queen of Sex, lancé en 1970. Le cinéma asiatique a adopté le médium de l‘animation comme véhicule pour du divertissement adulte à bien plus large échelle, et ce, depuis plus longtemps que le cinéma occidental.

Du manga (la version littéraire) à l’anime (prononcer « animé »), puis vers la forme plus extrême, le hentai, qui désigne du contenu animé sexuellement explicite, les Asiatiques semblent plus à l’aise avec le mélange des genres que représente l’animation pour adultes. Dès le milieu des années 80, le cinéma d’animation japonais contenait de la sexualité explicite et de la violence. Lolita Anime, la première production de ce type, présentait sexualité, viol et même BDSM. Comme son titre l’indique, il concernait de très jeunes femmes. Aujourd’hui encore, lehentai est une catégorie fort populaire de l’univers pornographique. À son aboutissement, on retrouve l’érotisme tentaculaire de productions telles que Urotsukidôji et ses démons aux tentacules euh… très… euh… insistants.

Dès qu’on s’intéresse à l’animation mature, un titre devient rapidement incontournable: une oeuvre-phrase de l’animation asiatique que tout le monde doit avoir vue; j’ai nommé Akira de 1988. C’est souvent le premier film de ce type que les gens de la génération X ont vu. Il représente bien le genre qui nous intéresse dans cet article : adapté d’un manga respecté, audacieux, à la thématique adulte et à la violence plus explicite que ce qu’on avait vu avant. La réputation d’Akira est telle qu’on tente de l’adapter « en vrai » depuis presque 3 décennies. C’est censé se faire pour de bon cette fois, par Taika Waititi, à qui l’on doit Thor : Ragnarok.

Si l’on revient au cinéma occidental, au-delà des années soixante-dix il y a eu plusieurs autres films animés visant les adultes ou, à tout le moins, contenant des thèmes assez adultes, même s’ils pouvaient aussi s’adresser à la famille. Un incontournable est arrivé, justement, au tournant des années quatre-vingt: une co-production internationale avec des animateurs de 14 pays dont le quartier général était à Montréal (à l’université Concordia, pour être plus précis). Heavy Metal était une adaptation du magazine de science-fiction du même nom, lui-même adapté du Métal Hurlant français. Reprenant l’esprit sexe-violence-rock’n’roll du magazine, le film présentait neuf vignettes de qualités variables (ma favorite est de loin B-17 et ses pilotes zombies) accompagnées d’une trame sonore à la fine pointe du rock. Du moins, à la fine pointe pour l’époque ! Avec autant de studios impliqués, l’animation changeait de style d’une vignette à l’autre. Malgré les critiques mitigées, le film développa un culte et fut même relancé en salles à diverses décennies. 

On pense également aux productions américaines dont Todd McFarlane’s Spawn (1997) ou Animatrix (2003), ou même aux films familiaux très sombres comme Coraline (2009) et Paranorman (2012). Même DC Comics s’est mis de la partie, ces dernières années, avec ses premiers dessins animés cotés R (donc pour adultes) dont Batman : The Killing Joke et Justice League Dark. Il y a aussi eu la comédie Sausage Party de Seth Rogen, qui a malheureusement confondu bien des parents avec ses allures de films pour enfants avec de la nourriture animée, mais qui se voulait trrrrrès très adulte, incluant une séquence d’orgie très explicite !

 

Si l’animation pour adultes se fait plus rare en salle, il semble bel et bien vivant, notamment chez Netflix, qui offre entre autres des versions animées de Resident Evil, ou encore chez Amazon, qui a lancé, ce printemps, une série animée inspirée de The Boys.

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