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Controversé projet de loi C-21

Chroniqueur Jean-François Cyr
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Depuis quelques années, une vague de violence qui a déferlé au Canada a marqué l’imaginaire des citoyens. Non pas que les événements sont nécessairement plus nombreux, mais ils sont souvent associés à des mobiles inusités par rapport aux décennies antérieures. Summum vous propose ici un condensé des motivations du gouvernement fédéral quant au controversé projet de loi C-21 sur les armes à feu, qui a été affecté par un changement de cap majeur du gouvernement fédéral, au début février 2023.

Tuerie en Nouvelle-Écosse

D’entrée de jeu, il faut dire que les crimes commis à l’aide d’une arme à feu suscitent des préoccupations depuis longtemps au pays.  Diverses approches ont été mises en œuvre pour y remédier, y compris l’adoption de modifications législatives. Or, en avril 2020, une tragédie a changé bien des choses au pays. En fait, elle a fait renaître bien des inquiétudes. 

En Nouvelle-Écosse, 22 personnes ont été tuées dans une fusillade de masse, qui s’est avérée la plus meurtrière de l’histoire récente du Canada. Le tireur a utilisé des armes obtenues illégalement – trois en provenance du Maine – avec des chargeurs à surcapacité, dont deux fusils semi-automatiques et deux pistolets, pour commettre ses meurtres. La tuerie a duré 13 heures, les 18 et 19 avril. Le tireur, qui n’avait pas de permis, a importé des armes illégalement au Canada. Et, selon la loi américaine, il n’aurait jamais dû pouvoir se les procurer. C’est une connaissance du tireur, un Américain, lui en avait fourni quelques-unes. Après le massacre, la Gendarmerie royale du Canada a retrouvé les armes que le tireur avait en sa possession lorsqu’il a été tué dans une station-service d’Enfield, à la suite d’une longue traque policière. Cette terrible histoire a mené à l’interdiction des armes à feu de style arme d’assaut. Elle a aussi relancé les débats au sujet du contrôle des armes à feu et l’accès aux armes illégales.

Vague de violence à Montréal

En pleine période de violences impliquant des armes à feu, à Montréal, le père du boxeur québécois, David Lemieux, a été l’une des deux victimes tuées par balles, à l’été 2022. André Fernand Lemieux, 64 ans, a été assassiné en soirée. Il a été ciblé au hasard, tout comme une autre victime, un agent d’intervention en santé mentale, Mohamed Salah Belhaj, 48 ans. Les deux meurtres ont été commis à environ une heure d’intervalle, dans des quartiers différents. 

Une vingtaine de jours plus tard, deux hommes ont été tués par balle en plein jour, dans deux lieux bondés de Montréal, à 30 minutes d’intervalle. Cet événement s’ajoutait à une série vertigineuse de cas de violence armée dans la métropole.

En pleine période de violences impliquant des armes à feu, à Montréal, le père du boxeur québécois, David Lemieux, a été l’une des deux victimes tuées par balles, à l’été 2022.

Toronto

En septembre 2022, des Torontois ont manifesté dans les rues de la ville pour réclamer de l’action contre la violence armée. En fait, des citoyens et organismes demandaient des solutions à long terme pour s’attaquer aux racines du problème de la violence par arme à feu. Chaque année, entre 20 et 40 personnes sont tuées par balles dans la région de Toronto. 

Pour le meilleur et pour le pire

Quelques semaines plus tôt, le gouvernement fédéral avait pris des mesures pour limiter la circulation des armes à feu au pays, dont l’instauration d’un gel controversé sur la vente d’armes de poing.

Des mesures ont été inscrites dans le projet de loi C-21, qui nourrissait déjà la controverse. Ayant pour objectif de contrôler la circulation des armes à feu, celui-ci était remis en question par plusieurs professionnels, dont des chefs de police. Bien que ce projet de loi était un pas dans la bonne direction, selon eux, ils ont affirmé qu’il n’atteignait pas vraiment la cible. C’est ce qu’ils ont dit devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale en octobre 2022.

Depuis ce gel des armes de poing, de nombreuses personnes se sont prononcées sur l’approche d’Ottawa. Une tonne de spécialistes et d’experts en tout genre ont analysé et commenté la stratégie fédérale. D’autres politiciens aussi ont exprimé des réserves sur cette nouvelle loi. Certains ont montré du doigt la frontière canado-américaine, d’où proviennent selon eux des quantités considérables d’armes illégales qui se retrouvent dans les mains des criminels. C’est également l’avis du tireur d’élite, Mario Dutil, qui est convaincu que le problème de la violence armée au Canada est d’abord et avant tout une affaire d’armes illégales. En entrevue avec Summum, il a affirmé que l’encadrement gouvernemental est déjà très rigoureux concernant les propriétaires d’armes. C’est l’importation illégale des armes qui pose surtout problème.

Malgré tout, un gel national sur la vente, l’achat ou la cession d’armes de poing par des particuliers à l’intérieur du Canada ainsi que sur l’importation au pays d’armes de poing nouvellement acquises est entré en vigueur par règlement le 21 octobre 2022. Cette stratégie a pour objectif de contrer la violence liée aux armes à feu et resserrer les lois qui encadrent celles-ci. Dans la foulée, le gouvernement a proposé le renforcement de mesures pour combattre le trafic des armes à feu et améliorer la capacité des services policiers. Par exemple : hausser la peine d’emprisonnement maximale de 10 à 14 ans pour les infractions liées aux armes à feu, dont le trafic et d’autres infractions.

C’est l’importation illégale des armes qui pose surtout problème.

Armes d’assaut et de chasse

En novembre 2022, le gouvernement Trudeau a proposé deux autres amendements élargissant la portée du projet de loi C-21. Ceux-ci ont été déposés après de brèves consultations. Ces amendements ont, plus que jamais, provoqué une levée de boucliers au pays. Le gouvernement a braqué de nombreux chasseurs, tout comme l’Assemblée des Premières Nations.

Rappelons qu’au tout début, le projet de loi C-21 interdisait les armes de poing, mais pas les armes d’assaut, qui faisaient déjà l’objet d’une interdiction par décret. Dans un article de La Presse, publié le 3 février 2023, on peut lire ceci : « Les amendements visaient à enchâsser cette interdiction dans la législation, tout en ajoutant davantage de modèles d’armes qui seraient prohibées. L’un de ces amendements incluait une liste de plus de 300 pages de modèles qui seraient interdits, dont certaines armes utilisées par les chasseurs et les Autochtones. »

Soulignons que le gouvernement n’a pas vraiment expliqué ces amendements au public lorsqu’ils ont été présentés pour la première fois. Le gouvernement aurait consulté trois groupes de contrôle des armes à feu sur les changements, mais aucun groupe de chasseurs ou de défenseurs des droits des armes à feu.

Comment le projet de loi C-21 est-il passé de l’interdiction des armes de poing à celle des armes de chasse ? La pression de nombreux organismes et la volonté du gouvernement libéral de mieux combattre la circulation des armes à feu ont poussé le premier ministre Justin Trudeau et son entourage politique à passer à l’action. Or, selon la très grande majorité des chasseurs, des tireurs sportifs et des collectionneurs, cette stratégie, bien que noble, était fort maladroite. 

Or, selon la très grande majorité des chasseurs, des tireurs sportifs et des collectionneurs, cette stratégie, bien que noble, était fort maladroite. 

L’un des amendements du gouvernement fédéral avait pour objectif d’interdire plusieurs carabines et fusils de chasse, voire des canons anciens. Dès lors, la confusion et la grogne se sont mises de la partie partout au Canada, y compris dans l’opposition officielle au Parlement. Le Parti conservateur, entre autres, s’est opposé farouchement à cet amendement concernant les armes de chasse. 

L’amendement ajoutait les armes d’épaule à la liste des armes interdites, de quatre manières différentes. Tout d’abord, il contenait une clause qui interdirait toute carabine ou fusil de chasse qui pourrait potentiellement accepter un chargeur de plus de cinq balles, qu’il ait ou non un tel chargeur. Selon les critiques, cela inclut de nombreux fusils conçus pour les chasseurs et non pour les soldats.

Partout au pays, chasseurs et passionnés d’armes en tout genre ont critiqué ce fameux projet de loi C-21. Rappelons-nous la publication du gardien de but des Canadiens de Montréal, Carey Price, qui, dans une rare prise de position publique, a dénoncé sur Instagram les impacts du projet de loi sur les chasseurs.

La liste énumérait également les armes qui tombent sous le coup de deux règles destinées à interdire les armes militaires puissantes telles que les fusils de précision et les mortiers de calibre 50. L’une de ces règles visait à interdire les armes d’épaule pouvant générer plus de 10 000 joules d’énergie, et l’autre interdit les armes dont la bouche est plus large que 20 millimètres. 

Selon les critiques, cela inclut de nombreux fusils conçus pour les chasseurs et non pour les soldats.
Partout au pays, chasseurs et passionnés d’armes en tout genre ont critiqué ce fameux projet de loi C-21

Enfin, l’amendement devait aussi interdire un grand nombre d’armes à feu semi-automatiques qui n’ont pas de chargeurs amovibles et ne répondent pas à la définition d’une « arme à feu de type assaut », ou qui enfreignent les deux autres règles, mais que le gouvernement veut interdire de toute façon. Ces armes comprennent un certain nombre de carabines largement utilisées par les chasseurs canadiens.

Bien entendu, le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a répété durant quelques mois que les chasseurs n’étaient pas visés par ces amendements. D’après lui, le projet de loi C-21 ne ciblait pas les armes à feu qui sont utilisées de manière conventionnelle pour la chasse. Hélas, le diable est dans les détails et certains de ceux-ci ne plaisait pas au lobby des armes, ni aux organisations représentant les chasseurs. Face à la longue liste d’armes visées par le gouvernement, bien des chasseurs et tireurs sportifs ont imaginé qu’ils allaient perdre le droit d’usage de certaines de leurs armes.

Un exemple de la confusion : le Mossberg 702 Plinkster, un fusil semi-automatique chambré pour la cartouche .22 Long Rifle, utilisant des chargeurs à 10 ou 25 cartouches. Après bien des réactions de la part des chasseurs, le gouvernement a fini par indiquer que ce fusil ne serait pas affecté par le contenu de la loi C-21…

Critères arbitraires et confus

Sur bien des tribunes, on a entendu que les critères du gouvernement du Canada étaient trop arbitraires. Même le Nouveau Parti démocratique, généralement en faveur du contrôle des armes à feu, a rechigné. Selon les représentants de la formation de centre-gauche, l’amendement sur les armes de chasse est sorti de nulle part. Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a lui aussi déploré que le gouvernement fédéral peinait à convaincre les Canadiens que ses amendements ne nuiraient pas aux chasseurs.

En décembre 2022, la Fédération nationale de police a décrit le projet de loi C-21 comme une occasion manquée de réduire les crimes commis avec des armes à feu. Selon elle, le projet ne s’attaquait pas véritablement à l’activité criminelle, à la prolifération des armes à feu illégales, à la criminalité des gangs, aux armes illégales qui traversent la frontière ou à l’utilisation criminelle des armes à feu.

Même Heidi Rathjen, du groupe de contrôle des armes à feu PolySeSouvient (en lien avec la tuerie survenue à Montréal le 6 décembre 1989) a fini par admettre que les amendements étaient très compliqués sur le plan technique et difficiles à expliquer. C’est ce qu’elle a dit notamment lors d’une intervention accordée à Radio-Canada. À son avis, le gouvernement Trudeau aurait pu faire un meilleur travail. Cela dit, Mme Rathjen a toujours défendu la règle qui interdisait les fusils qui génèrent plus de 10 000 joules. Selon elle, ce sont des armes qui peuvent percer l’équipement et les structures militaires. Elles ne sont donc pas indispensables pour la chasse ou pour le tir récréatif.

Le projet de loi a également été contesté par des groupes historiques et de reconstitution, qui affirment que leurs canons et pièces d’artillerie antiques ne constituent pas une menace pour la sécurité publique. La partie la plus controversée de l’amendement était probablement le fait qu’il visait à interdire un certain nombre d’armes qui ne correspondent pas à la nouvelle définition d’arme à feu de type assaut du gouvernement. L’un d’entre eux est le fusil semi-automatique SKS, conçu en 1945. 

 

Les libéraux retirent les amendements controversés

De manière inattendue et dans un important mouvement de recul, le gouvernement fédéral a annoncé le 3 février 2023 qu’il retirait les amendements controversés du projet de loi C-23. Ces modifications, désormais enlevées, auraient garanti l’interdiction de milliers d’armes à feu de type assaut, qui affectait aussi certaines armes de chasse. Accablé par la critique et le mécontentement populaire, le gouvernement a finalement abdiqué. Pour l’instant, du moins. Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a déclaré que son gouvernement essaierait de peaufiner et de réintroduire les interdictions sur les armes d’assaut. On ne sait pas pour le moment si le gouvernement fédéral proposerait une nouvelle série d’amendements au projet de loi ou carrément une loi entièrement nouvelle.

Il faut souligner que les amendements, qui ont élargi la portée du projet de loi C-21 au-delà de son objectif initial sur les armes de poing, ont été déposés par les libéraux tard dans le processus parlementaire, sans explication. La frustration était telle que le gouvernement Trudeau, minoritaire, a perdu le soutien du NPD et du Bloc québécois, dont il avait besoin pour faire adopter le projet de loi. Les nouveaux amendements ont vraiment fait dérailler les progrès sur le projet de loi C-21, a déclaré par exemple le député néo-démocrate Alistair MacGregor. 

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, a quant à lui tenté de récupérer politiquement ce recul du gouvernement Trudeau. En fait, il s’est attribué le mérite de ce revirement, affirmant que son parti avait forcé le premier ministre Justin Trudeau à un repli. 

M. Trudeau, pour sa part, a associé la vague d’opposition à la désinformation véhiculée par les conservateurs. Ceux-ci ont tenté, selon lui, de « faire peur à tout le monde ».

Visiblement, le gouvernement a retiré les amendements parce qu’il n’a pas réussi à tracer correctement la ligne de démarcation entre les armes à feu utilisées légalement pour la chasse et celles qui sont utilisées dans les fusillades et les massacres qui surviennent au pays.

Dans une déclaration faite après l’annonce d’un recul du gouvernement fédéral, la porte-parole de l’organisme de défense du contrôle des armes à feu PolySeSouvient, Nathalie Provost, a déclaré que le groupe était déçu et consterné par cette décision. Elle a ajouté qu’elle espérait que les amendements pourraient être réintroduits à la suite d’une consultation plus approfondie.

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