BIGFOOT : DES PREUVES CONTROVERSÉES
EST-CE POSSIBLE QUE LA CRÉATURE EXISTE VRAIMENT?
Il y a quelque temps, la presse s’est fait l’écho d’une nouvelle plutôt cocasse. Le 22 mars 2017, une quinquagénaire de l’Idaho s’est présentée au bureau du shérif de Latah County pour rapporter un accident singulier. Elle a raconté qu’elle roulait à la sortie de Potlach (nord de l’État), sur la route nationale 95, lorsqu’elle a aperçu une créature simiesque de 2,5 mètres de haut. La « chose » se tenait sur le bas-côté de la route. Elle avait le corps couvert de longs poils noirs, sauf sur le visage. La dame a aussitôt pensé au bigfoot, cet abominable homme des bois dont les apparitions font la manchette depuis des décennies.
CRÉATURE MI-HOMME MI-ANIMAL
À en croire la légende, le bigfoot (sasquatch, au Canada, ou yeti, au Népal) serait une créature mi-homme mi-animal. Il aurait le corps couvert d’une épaisse fourrure allant du noir au beige, sauf sur le visage, la paume des mains et la plante des pieds. Même s’il est évoqué dans plusieurs légendes autochtones d’Amérique du Nord, ce n’est qu’à la fin du 19e siècle que les premiers colons ont commencé à rapporter ses apparitions. En 1958, en voyant les empreintes laissées par la créature, un journaliste du Humboldt Times d’Eureka, en Californie, l’a baptisé « bigfoot » (grands pieds).
Le 22 mars dernier, en voyant apparaître la créature dans la lumière de ses phares, la résidante de l’Idaho a d’abord cru qu’elle avait la berlue. Elle a dépassé la « bête » tout en continuant de l’observer dans son rétroviseur. C’est à ce moment-là qu’elle a heurté… un chevreuil. Le cervidé est sorti de nulle part et s’est littéralement jeté devant la Subaru Forester. L’animal a roulé dans le fossé, s’est relevé et s’est enfui dans l’obscurité. Quant à la conductrice, elle s’en est tirée avec une calandre amochée et un mal de cou. Après l’accident – et une fois remise du choc –, la femme a regardé de nouveau dans son rétroviseur et le bigfoot avait disparu. Trente minutes plus tard, elle s’est présentée au bureau du shérif pour rapporter les évènements de la soirée. Les Troopers envoyés sur place n’ont trouvé aucune trace de la bête, seulement quelques morceaux de plastique et de verre sur la chaussée.
LE BIGFOOT EXISTE-T-IL?
Certes, le récit fait sourire, mais nous renvoie à cette fascinante question : le bigfoot existe-t-il? Pour les zoologues, la créature n’est, au mieux, qu’une simple erreur d’identification. Les témoins auraient vu un gros animal qu’ils auraient associé à un bigfoot. Plusieurs experts rappellent que les ours ont cette habileté à se dresser sur leurs pattes antérieures, ce qui pourrait expliquer un grand nombre de témoignages. À l’autre bout du spectre, des gens fascinés par cette énigme se sont regroupés pour enquêter sur ces apparitions. Pour eux, il ne fait aucun doute que l’animal est bel et bien réel et qu’il hante les forêts de l’Amérique du Nord, de l’État de Washington aux Green Mountains du Vermont. Idem au Canada, où des apparitions du sasquatch ont été rapportées dans toutes les provinces (sauf dans l’île du Prince-Édouard). Ces dernières années, on a vu aussi se multiplier des téléréalités où les téléspectateurs peuvent suivre des « chasseurs de bigfoot » traquant inlassablement la bête… Hélas sans succès.
Dans ces émissions – qui sont aux documentaires ce que McDonald’s est à la gastronomie –, les chasseurs de bigfoot insistent beaucoup sur les preuves « irréfutables » qu’ils détiennent et qui témoignent de l’existence de la bête. Ces amateurs sont particulièrement enthousiastes lorsqu’il s’agit des empreintes du monstre – immortalisées dans des moulages en plâtre de Paris – et des échantillons biologiques, allant de poils à des excréments colligés sur des lieux d’apparition. Dans un même souffle, ils critiquent la communauté scientifique pour son manque d’intérêt vis-à-vis de ces preuves (les chasseurs d’ovnis et les chasseurs de fantômes émettent les mêmes critiques). Ce que ces amateurs se gardent bien de nous dire, c’est qu’au chapitre de ces preuves, l’existence du bigfoot en a pris pour son rhume.
ANALYSES ADN
En mars 2014, le très sérieux Proceedings of the Royal Society, un périodique scientifique britannique, a publié un long article signé (principalement) par Bryan Sykes, responsable du laboratoire de génétique (Institut de la génétique humaine) à l’université d’Oxford. Deux ans plus tôt, agacé par ces critiques quant au désintéressement des scientifiques, Sykes – en collaboration avec le musée zoologique de Lausanne (Suisse) – a fait parvenir aux chasseurs de bigfoot une lettre circulaire leur expliquant qu’il souhaitait pallier ce laxisme. Il s’engageait à procéder à des analyses ADN de tout échantillon soumis à ses services. De cette initiative, Sykes a reçu 57 échantillons biologiques, allant (principalement) de poils à des excréments. De ce lot, 37 ont été jugés adéquats pour analyse.
Dans Analyse génétique d’échantillons de poils attribués au yeti, au bigfoot et autre primate inconnu, Sykes détaille le protocole adopté et la méthode utilisée. Les résultats sont sans appel : AUCUN échantillon n’est de nature « exotique ». Tous ont été attribués à des espèces zoologiques connues : ours, bovidé, canidé, etc. Ces analyses ont été menées en suivant les règles strictes de la science génétique. Si le bigfoot avait été accusé d’un crime, nul doute que les analyses du Pr Sykes l’auraient disculpé.
Bien sûr, ces résultats ne signifient pas que les « hominidés inconnus » n’existent pas… loin de là. Ils mettent toutefois un sérieux bémol sur les affirmations des chasseurs de bigfoot qui ne cessent de diaboliser la communauté scientifique en l’accusant de faire la sourde oreille à leurs critiques.
À défaut d’échantillons biologiques, ces amateurs peuvent toujours s’en remettre aux empreintes laissées par la créature. Au plan scientifique, elles n’ont évidemment pas le poids d’une analyse ADN, mais elles restent un prix de consolation très intéressant. Ces empreintes – dans la neige ou dans la boue – ont été observées des milliers de fois depuis la deuxième moitié du 19e siècle, et ce, parfois, dans des régions quasi inaccessibles.
L’ŒUVRE DE PLAISANTINS?
À l’automne de 1993, je me suis retrouvé attablé avec Michel DiVergilio, à l’époque président de la Société de paléontologie du Québec (SPQ). Notre conversation a vite glissé sur les empreintes du bigfoot. Les sceptiques prétendent que ces traces sont essentiellement l’œuvre de plaisantins utilisant des pieds sculptés dans des morceaux de bois. Mais si les faussaires utilisaient une telle technique, les empreintes de chaque groupe ne devraient-elles pas être identiques? Ce qui n’est visiblement pas le cas. Qui plus est, il faudrait également accepter l’existence d’une société secrète qui, depuis le 19e siècle, arpenterait le monde – des glaciers enneigés de l’Himalaya aux forêts de l’Oregon – pour faire de fausses empreintes; des francs-maçons du faux pied. Pour écarter cette hypothèse, j’ai demandé à Michel s’il y avait une méthode scientifique susceptible de confirmer ou d’infirmer la nature de ces empreintes. Il m’a alors parlé de la photographie de surface en trois dimensions. Selon lui, cette méthode (couramment utilisée en paléontologie) permettrait – dans l’éventualité d’une empreinte authentique – d’isoler des détails anatomiques. Du tac au tac, je lui ai demandé s’il accepterait, lui, en tant que paléontologiste, de faire cet exercice. Pendant un instant, il est resté silencieux, puis il m’a regardé en souriant. « Pourquoi pas? Cela pourrait même être amusant… », m’a-t-il dit.
CRÉATURE DE 2,5 MÈTRES
Au début de 1995, Grover S. Krantz (1931-2002), un professeur d’anthropologie à l’université de l’État de Washington – et l’un des plus grands spécialistes du bigfoot –, a accepté de me confier deux moulages réalisés dans la région de Bluff Creek (nord de la Californie) en 1967. Ces moulages étaient (et demeurent) associés à un film excessivement controversé réalisé au même moment par deux aventuriers, Roger Patterson et Robert Gimlin. Le film – tourné sur une pellicule couleur 16 mm – montre une créature simiesque de 2,5 mètres de haut qui marche lentement à travers le lit asséché de la rivière. Depuis 1967, le film Patterson-Gimlin (comme l’ont baptisé les experts) a été soumis à une foule d’expertises et, à ce jour, les conclusions quant à son authenticité restent mitigées. En optant pour ces moulages, j’espérais marquer sur deux tableaux : si l’analyse de Michel DiVergilio ne révélait aucune information significative, cela apporterait de l’eau au moulin des sceptiques. En revanche, si les photographies 3D devaient montrer des détails anatomiques, cela viendrait donner de l’importance au film Patterson-Gimlin.
OS ET CRÊTES DERMIQUES
J’ai reçu les moulages en février 1995 et je les ai aussitôt remis à Michel DiVergilio. La « machine » était en marche. Il a fallu quelques semaines à ce dernier pour effectuer son travail. Puis son verdict est tombé. Les photographies 3D des empreintes ont révélé des éléments anatomiques particulièrement difficiles à reproduire, comme la présence d’os et de crêtes dermiques (les empreintes digitales du pied et des orteils). Avec leur arche écrasée, leur double coussinet plantaire et leurs orteils en éventail, les empreintes étaient tout à fait conformes à ce que les experts étaient en droit de s’attendre pour une créature humanoïde de 300 kilos. Ces moulages correspondaient aussi à ceux de pieds articulés : c’est-à-dire que le talon avait été posé en premier, que le pied avait « roulé » sur son arche et que les orteils avaient été posés en forçant vers l’avant. Un mouvement mécanique tout à fait identique à celui d’un bipède. Pour Michel DiVergilio, sans pour autant conclure à l’existence du bigfoot, une telle falsification aurait été extrêmement difficile à reproduire. Mais « difficile à reproduire » ne signifie pas « impossible ».
Ces détails intrigants ne doivent surtout pas nous faire perdre de vue d’autres aspects qui contrebalancent l’enthousiasme des chasseurs de bigfoots. Primo, d’après les écologistes, pour maintenir une population viable, il faudrait une communauté de bigfoots composée de 2000 à 10 000 individus et cela uniquement pour les régions de l’ouest de l’Amérique du Nord (le Pacifique nord-ouest), territoire de prédilection de la créature. Avec une population aussi importante, les observations seraient beaucoup plus nombreuses. Secundo, en tenant compte de cette même population, on aurait trouvé depuis longtemps des carcasses ou des restes biologiques. Enfin, tertio, à ce jour, nous n’avons jamais découvert la moindre preuve d’une occupation présente ou passée (fossile) d’une quelconque race de primate en Amérique du Nord, autre que l’homo sapiens, c’est-à-dire… nous!