Pokémon: Le règne d’un empire médiatique planétaire
D’abord lancée en jeu vidéo sur la console Game Boy au Japon en 1996, la gamme de produits Pokémon s’est rapidement transformé en jeu de cartes lucratifs, en bandes dessinées, en séries animés et plus encore. Si, au départ, la clientèle visée se voulait les enfants de 5 à 12 ans, aujourd’hui, les Pokémons intéressent également les plus vieux alors que les consommateurs de la première heure sont maintenant plus âgés. Mais, qu’est-ce qu’un Pokémon exactement?
Le terme est une abréviation du titre original Pocket Monsters qui fait référence à des créatures animales fantastiques de tailles variées possédant des pouvoirs magiques et qui cohabitent avec les humains. Le plus populaire des Pokémons demeure Pikachu, la créature jaune qui ressemble à un hamster géant. Pikachu est présent depuis les débuts et sa popularité est causée grande partie par sa présence dans les séries animées. Présent pratiquement sur tous les produits dérivés, il se veut, en quelque sorte, la mascotte de ce vaste univers.
En effet, l’encyclopédie illustrée Pokédex recense un peu plus de 1000 espèces de Pokémons que l’on peut capturer à l’aide d’une Poké ball. Le joueur qui joue au jeu vidéo explore le monde des Pokémons dans lequel il doit les entraîner pour d’éventuels combats entre eux. Le jeu de cartes est essentiellement la même chose, mais les cartes possèdent un système de pointage de forces qui s’inspire de son prédécesseur Magic: The Gathering. Les joueurs s’affrontent dans des duels avec des cartes puissantes, voire rares, qui vont influencer le déroulement de la partie. De nombreux tournois multi-âges sont organisés partout sur la planète. Au-delà de ces affrontements, la majorité des enfants achètent (ou se font acheter!) des cartes que dans le but des collectionner, comme celles sur le hockey. Attention! Vous possédez peut-être une carte qui vaut cher alors que le prix de plusieurs de celles-ci a explosé aux enchères ces dernières années, plus particulièrement pendant la pandémie. En 2022, une carte gradée 10 (condition parfaite) de 1999 du Pokémon Charizard a été vendue pour 420 000 $ US. Ça peut représenter le prix d’une belle maison! Deux ans plus tard, la folie s’est estompée quelque peu alors qu’une carte similaire a trouvé preneur en février 2024 pour la somme de 168 000 $. Quand même! Au total, il y aurait une centaine d’exemplaires de cette carte avec la note parfaite de 10 en circulation.
Le concept des Pokémon puise ses origines dans la jeunesse de son créateur Satoshi Tajiri. Né en 1965 à Machida, une banlieue de Tokyo, Tajiri adore capturer et étudier les insectes. Puis, à l’adolescence, il découvre les jeux vidéo alors que les premières arcades font leur apparition au début des années 80. En 1983, à 17 ans, il se lance dans l’autopublication d’un rare magazine sur les jeux vidéo, Game Freak, qui durera quelques années. Cette expérience fait éventuellement de Tajiri un journaliste très respecté dans le milieu. En 1986, ce dernier forme, avec quelques associés, une compagnie de jeux électroniques qui porte le même nom que le magazine. Leur premier jeu, Quinty (Mendal Palace à l’international), remporte un bon succès à sa sortie en 1989.
En 1990, Nintendo annonce la mise en chantier de leur prochaine génération de consoles : le Game Boy. Tajiri désire profiter des possibilités technologiques de cette dernière. Pour sa prochaine création, il s’inspire donc des étés de sa jeunesse tout en y injectant son amour des « kaiju », ces films avec des monstres géants. Un autre phénomène va aussi fortement influencer la conception des Pokémon : les « gashapons ». Ce sont de petites capsules en plastique qui abritent un jouet et que l’on peut se procurer dans des machines distributrices. Inventés dans les années 60, les ventes des gashapons prennent de l’ampleur partout dans le monde dans les années 70 et 80. D’ailleurs, le premier nom trouvé pour les Pokémon était Capsule Monsters avec l’abréviation Capumon, mais le nom était déjà enregistré commercialement.
Game Freak signe enfin une entente avec Nintendo qui se montre emballé par leur projet, mais qui offre un budget conservateur au jeune studio. Peu expérimenté, Tajiri et sa bande rencontrent toutes sortes de difficultés technologiques qui les empêchent de livrer le jeu pour l’automne 1990. Game Freak décide donc de suspendre la production du jeu, le temps d’acquérir plus d’expérience. Ce n’est qu’en 1994 que les travaux reprennent officiellement. C’est à ce moment que Atsuko Nishida, un nouvel illustrateur dans l’équipe, va créer Pikachu. Tsunekazu Ishihara, le producteur du jeu, apporte l’idée du Pokédex. En février 1996, le jeu arrive finalement sur les tablettes un peu dans l’indifférence. Il faut dire que la console Game Boy est devenue moins populaire auprès des consommateurs. Finalement, un manga fera exploser les ventes de Pocket Monsters Red and Green. Dès la sortie du jeu, Nintendo s’associe au populaire magazine de manga CoroCoro Comic. La compagnie nippone est habituée à collaborer avec la revue alors qu’elle adapte plusieurs de ses licences, comme Super Mario, Kirby et Donkey Kong. Lu par le quart des élèves du primaires, le manga Pokémon devient rapidement l’un des préférés des lecteurs. En septembre, le jeu dépasse le million de ventes d’unités uniquement au Japon.
L’idée de commercialiser un système de jeu centré sur des cartes à collectionner est venu assez vite dans la création de l’univers Pokémon. Tsunekazu Ishihara était un fervent amateur du jeu de cartes Magic: The Gathering. Commercialisé en 1993, Magic connaît un succès planétaire. C’est lui qui voit le potentiel d’adapter Pokémon en jeu semblable, mais évidemment simplifié pour les enfants. Dès 1995, Ishihara convainc Nintendo d’en payer l’impression, mais celle-ci ne voulait pas gérer la distribution. Finalement, Media Factory, une petite compagnie, accepte le contrat. Cette décision s’avère très judicieuse! On se servira encore de CoroCoro Comic pour en faire la promotion. Six mois après leur apparition sur les tablettes, soit en mars 1997, Media Factory a écoulé 87 millions de cartes. Mais, le gros boum provient les prochains mois alors que rendu au mois de mars 1998, 499 millions de cartes sont vendues! La folie des cartes Pokémon explose grâce à l’arrivée du dernier morceau du casse-tête de l’empire Pokémon: la série animée.
C’est le producteur Masakazu Kubo qui désire créer une série animée autour des Pokémons. Il croit fortement en son succès télévisuel. Nintendo hésite, car elle craint qu’un échec pourrait nuire aux ventes du jeu vidéo. Ishihara s’y oppose, car lui a peur que, quand la série se terminera, le monde pensera que Pokémon est terminé et que les consommateurs passeront à autre chose.
Il souhaite aussi que la série sorte au moins après le nouveau jeu Pokémon Gold & Silver qui est en cours de production. Kubo rassure tout le monde en décidant d’investir massivement dans la série télévisée alors qu’il se commet pour produire 82 épisodes, ce qui est énorme. Surtout, il promet de respecter l’esprit de l’univers de Tajiri. Cependant, tout le monde se met d’accord qu’aucun des trois Pokémon que l’on trouve au départ du jeu vidéo ne soit mis de l’avant au détriment de l’autre. Il y a plutôt consensus pour que Pikachu devienne le visage de la série alors qu’on est certain qu’il plaira tant aux garçons qu’aux filles et, également, aux mamans qui approuvent généralement ce que leurs enfants peuvent regarder.
Lancée en avril 1997, la série se poursuit encore aujourd’hui! À ce jour, elle compte 1299 épisodes en 26 saisons! Tout un exploit qui démontre la longévité de Pokémon alors que la série est diffusée dans presque tous les pays et demeure l’une des émissions les plus regardées au monde. En 2020, Netflix acquiert les droits exclusifs des nouvelles séries. Mais, l’empire visuel de Pokémon inclut aussi plusieurs films : 23 animés et 1 production en prise de vue réelle. Ce dernier, Pokémon Detective Pikachu, est une production américaine mettant en vedette Ryan Reynolds.
En Amérique, on n’échappe pas non plus à ce phénomène. En 1998, les Pokémons sont partout! On parle d’une invasion culturelle comparable à celle du groupe The Beatles en 1964! C’est même la consécration alors que Pokémon est parodié dans deux des séries télévisées les plus populaires : The Simpsons et South Park. Cette dernière est la première à la faire avec son épisode Chinpokomon de la troisième saison, diffusé le 3 novembre 1999. L’épisode leur a d’ailleurs valu une nomination aux Emmy Awards. The Simpsons font référence dans Children of a Lesser Clod, 20e épisode de la saison 20. Diffusé le 13 mai 2001, le comédien et humoriste Bill Cosby demande à un enfant à quoi il aime jouer et celui-ci lui répond : « Pokémon. » Au cours des années 2000, plusieurs autres émissions mentionnent Pokémon, comme Saturday Night Live, Family Guy et The Big Bang Theory. Pokémon est un empire médiatique maintenant bien ancré dans la culture populaire, comme Disney, Marvel et Star Wars.
Entre la décennie 2005-2015, la « Poké Mania » s’est définitivement estompée. Si elle n’est plus une force commerciale aussi puissante qu’à ses débuts, la franchise se maintient quand même parmi les licences les plus profitables. En 2016, Nintendo et Niantic, une jeune entreprise de San Francisco, vont frapper un grand chelem avec leur jeu Pokémon Go. L’idée de ce jeu mobile en réalité augmentée est d’abord née d’un poisson d’avril en 2014 avec Google qui annonçait la création d’une application sur Google Maps qui permettrait de localiser et de capturer des Pokémon dans de vrais lieux à travers le monde. Tsunekazu Ishihara, dirigeant de The Pokémon Company, est un grand fan d’Ingress, le premier jeu en réalité augmentée par Niantic, une division de Google. En 2015, les deux compagnies s’associent donc pour créer Pokémon Go qui sera lancé en grande pompe au mois de juillet 2016. En 2019, l’application dépasse le milliard de téléchargements avec 150 millions d’utilisateurs actifs mensuellement. En 2020, les revenus générés par le jeu depuis son lancement se chiffrent à 6 milliards $ US! Une nouvelle « Poké Mania » déferle sur le monde alors que Pokémon Go réunit autant les fans de la première heure que de nouveaux adeptes.
Le jeu connaît un tel succès qu’il cause plusieurs perturbations dans certains lieux où se trouvent des Pokémon, comme le Auschwitz-Birkenau State Museum en Pologne, le Hiroshima Peace Memorial Park ou encore le National September 11 Memorial & Museum et le Cimetière Arlington aux États-Unis qui demanderont à être retirés du jeu. Mais, dans l’ensemble, celui-ci tend à être très prolifique pour les entreprises locales, comme des pubs et restos, qui voient leurs chiffres d’affaires augmentés par les passants ou, encore, l’augmentation des visiteurs dans les parcs nationaux américains. Les critiques argumentent que les jeunes demeurent encore accrochés à leurs écrans tandis que les défenseurs du jeu affirment qu’au moins ils sont à l’extérieur en plein air! Malgré un ralentissement d’utilisateurs à cause de la pandémie et d’une baisse de revenue normale après le buzz passé, le succès phénoménal du jeu prouve néanmoins que Pokémon peut se réinventer et qu’il demeure toujours aussi attrayant à une nouvelle génération de consommateurs en près de 30 ans d’existence. Ce n’est pas rien!
En terminant, voici quelques statistiques qui démontrent l’ampleur de ce succès. À ce jour, en 2024, il s’est vendu 480 millions d’unités de jeux vidéo et il s’est imprimé 65 milliards de cartes. On estime que, depuis 1996, Pokémon aurait récolté 99 milliards $ en revenus, ce qui le place au premier rang des franchises médiatiques devant un certain Mickey Mouse et ses 61 milliards $ depuis… 1928. Évidemment, si on inclut tous les différents univers de Disney, la compagnie arrive largement en avant. Mais, Pokémon s’avère une réussite spectaculaire qui doit dépasser ce que le jeune Satoshi Tajiri rêvait en premier lieu.