Un défi de taille nous attendait dans le détour du début de cet article : définir un film d’horreur. Cette bonne vieille encyclopédie Britannica définit le film d’horreur ainsi : un film qui vise à causer de la peur, de la répugnance, de l’angoisse ou un malaise chez le spectateur. C’est un peu réducteur et je crois que la définition s’est assez élargie depuis les années 1800, en incorporant divers sous-genres et styles.
Peu de gens considèrent Le Silence des Agneaux un film d’horreur et pourtant, le sujet du film est un tueur en série cannibale qui aide le FBI à arrêter un autre tueur en série qui utilise la peau de ses victimes, à la Massacre à la tronçonneuse! Difficile de faire plus horreur que ça! Les deux films s’inspirent d’ailleurs vaguement du même fait divers.
Donc oui, l’ère de l’horreur a commencé dans les années 1800 avec l’invention même du cinéma. Certainement que L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat, tourné par les frères Auguste et Louis Lumière en 1896, créait l’effroi chez le spectateur, qui ne savait trop que faire de ces images qui bougeaient. Le film est disponible sur Youtube en passant pour les plus curieux.
Les Racines Littéraires
Le cinéma d’horreur puise ses racines dans la littérature gothique du XVIIIe et XIXe siècles, avec des auteurs comme Mary Shelley, Bram Stoker et Edgar Allan Poe. Les œuvres de Shelley, notamment Frankenstein, et de Stoker, (Dracula), ont posé les bases des monstres classiques du cinéma d’horreur. Ces récits exploraient des thèmes tels que le surnaturel, la transgression scientifique du domaine du divin et les peurs profondes de l’humanité.
Les romans gothiques mettaient souvent en scène des châteaux lugubres, des créatures monstrueuses et des atmosphères oppressantes, des éléments qui se retrouveront plus tard dans les films d’horreur qu’ils auront inspirés. Ces histoires exploitent la peur de l’inconnu, l’angoisse existentielle et les tabous sociaux, des motifs récurrents dans le genre horrifique. Que le docteur Frankenstein créé la vie à la place de Dieu créa des remous certains!
Les Premiers Films d’Horreur
Le cinéma d’horreur a véritablement émergé avec le cinéma muet au début du XXe siècle. Des réalisateurs comme Georges Méliès et Robert Wiene ont été des pionniers du genre. Méliès, avec son court-métrage Le Manoir du Diable (1896), est souvent considéré comme le premier réalisateur à avoir créé un film d’horreur. On y retrouvait le Diable, une chauve-souris géante et autres monstres et démons. Bien que court (2 minutes), le film posait les bases de ce que deviendrait le cinéma d’horreur : des effets spéciaux innovants, des décors inquiétants et une atmosphère de mystère.
Un autre film marquant de cette période est Le Cabinet du docteur Caligari (1920) de Robert Wiene, un chef-d’œuvre de la période dite expressionniste allemand. Ce film utilise des décors déformés et des éclairages dramatiques pour créer une atmosphère cauchemardesque, influençant grandement le style visuel du cinéma d’horreur. L’horreur dans ce film émerge non seulement des actions des personnages mais aussi de l’environnement déstabilisant, un thème qui sera récurrent dans les films d’horreur ultérieurs.
Les Années 1930 et l’Âge d’Or des Monstres
Les années 1930 marquent l’âge d’or des monstres classiques avec des films produits par Universal Pictures, souvent justement tirés de la littérature tel que mentionné plus tôt. Des figures emblématiques comme Dracula, Frankenstein, la Momie, et le Loup-garou deviennent les premières icônes du cinéma d’horreur. Dracula (1931), réalisé par Tod Browning et interprété par Bela Lugosi, a solidifié le vampire comme une figure centrale de l’horreur cinématographique. Boris Karloff, dans le rôle de la créature de Frankenstein (1931), a également laissé une empreinte indélébile. L’image de ces deux monstres figée dans le psyché mondial correspond encore à ces deux premières adaptations, des décennies plus tard.
Ces films exploitaient des peurs profondément enracinées dans l’inconscient collectif : la peur de la mort, de l’inconnu, et de la monstruosité. Les innovations techniques de cette époque, comme les effets spéciaux rudimentaires et le maquillage, ont également contribué à l’impact de ces films.
Les Années 1950 et l’Émergence de la Science-Fiction Horrifique
Les années 1950 ont vu un mélange des genres avec l’émergence de la science-fiction horrifique. Cette décennie, marquée par la Guerre froide avec les Soviétiques et la peur nucléaire, a inspiré des films d’horreur basés sur des monstres mutants et des invasions extraterrestres. Des films comme La Chose d’un autre monde (1951) et L’invasion des profanateurs de sépulture (1956), présentant des monstres venus de l’espace, illustrent cette tendance.
Ces films reflétaient les angoisses de l’époque : la peur de l’invasion, de la contamination et de la perte de l’identité. Le monstre n’était plus seulement une créature gothique, mais aussi le produit de la science et de la technologie, soulignant les dangers potentiels des avancées scientifiques incontrôlées et aussi du communisme.
Les Années 1960, l’Avènement de la couleur et la Montée de l’Horreur Psychologique
Les années 1960 ont introduit une nouvelle dimension dans le cinéma d’horreur : l’horreur psychologique. Alfred Hitchcock, avec Psychose (1960), a révolutionné le genre en se concentrant sur la peur psychologique plutôt que sur les monstres. Le film explore les thèmes de la folie, du double et de la transgression morale, thèmes récurrents dans l’horreur psychologique.
À la toute fin des années 50, on doit à Hammer Films, un célèbre studio britannique qui a lui aussi pillé le catalogue littéraire pour ses films le premier vrai film d’horreur en couleur. Lancé en 1957 Frankenstein s’est échappé marque l’histoire de plusieurs façons : le rouge éclatant du sang qu’il présente; un succès international qui introduit l’horreur dans les salles de France et un tandem d’acteurs jamais égalé dans le cinéma fantastique : Peter Cushing et Christopher Lee. Bien que rejeté par la critique pour son impact choquant, Frankenstein s’est échappé (dont le titre mélange le bon docteur et sa créateur, qui n’a pas de nom) est un immense succès et a fait 70 fois son budget en recettes!
Cette période voit également l’émergence de films comme Le Bébé de Rosemary (1968) de Roman Polanski, qui mélangeait l’horreur avec le surnaturel et le drame psychologique.
Les Années 1970 et l’Horreur Moderne
Les années 1970 ont été marquées par une transformation radicale du cinéma d’horreur avec l’introduction de films plus explicites et réalistes. L’Exorciste (1973) de William Friedkin et le susmentionné Massacre à la tronçonneuse (1974) de Tobe Hooper ont repoussé les limites de ce qui pouvait être montré à l’écran. Ces films utilisaient des effets spéciaux plus sophistiqués et des scénarios plus brutaux pour provoquer une réaction intense du public.
Cette décennie a également vu la naissance du film d’horreur indépendant avec Halloween (1978) de John Carpenter, qui fut pendant longtemps le film indépendant ayant le plus rapporté de l’Histoire. Ce film a introduit le slasher, un sous-genre centré sur un tueur psychopathe, surnaturel ou pas, traquant et tuant un groupe de personnes, souvent des adolescents. Halloween a établi de nombreux codes du slasher, tels que le tueur masqué, les meurtres graphiques, et la final girl, une survivante qui confronte le tueur. Il a aussi lancé la mode des films liés à une date ou une fête précise.
Les Années 1980 et l’Éclatement des Sous-genres
Les années 1980 ont été caractérisées par la diversification du cinéma d’horreur en de nombreux sous-genres. Les slashers ont continué à prospérer avec des franchises comme “Friday the 13th” et “A Nightmare on Elm Street”. Freddy Krueger, le tueur onirique de “A Nightmare on Elm Street” (1984), a introduit une dimension surnaturelle aux slashers, combinant l’horreur psychologique avec le gore.
Cette période a également vu l’émergence de l’horreur corporelle (body horror), un sous-genre se concentrant sur les transformations physiques et la mutilation du corps humain. Le maître Canadien du genre, David Cronenberg, avec des films comme La Mouche (1986) et Videodrome (1983), a exploré les thèmes de la mutation corporelle, de la technologie et de l’identité, ajoutant une nouvelle profondeur au genre.
Les Années 1990 et le Métahorror
Les années 1990 ont vu l’introduction du métahorror, un sous-genre qui commente et déconstruit les codes de l’horreur. Frissons (1996) de Wes Craven est l’exemple emblématique, où les personnages sont conscients des règles et des clichés des films d’horreur, ce qui crée une nouvelle dynamique narrative. Ce film a revitalisé le genre slasher, combinant l’auto-réflexion avec une tension et un suspense intenses.
Le XXIe Siècle et la Redéfinition du Genre
Le cinéma d’horreur au XXIe siècle continue d’évoluer, intégrant des influences globales et explorant de nouveaux thèmes. Le found footage, popularisé par The Blair Witch Project (1999), utilise des techniques de caméra amateur pour créer une sensation d’authenticité et d’immédiateté. Paranormal Activity (2007) a exploité cette technique pour raconter des histoires de hantises modernes.
La même période voit également émerger le cinéma d’horreur asiatique en Occident, une invasion propulsée par Ringu (1998) rapidement suivi de Ju-On : The Grudge (2002), A Tale of Two Sisters (2003) jusqu’à Train to Busan (2016) et plus.
Un troisième genre est apparu au même moment : la torture porn. S’il a débuté avant les années 2000 c’est quand même au XXIe siècle qu’il a pris son essor avec les Hostel (2005) d’Eli Roth ainsi que Décadence (Saw) de James Wan. Des films axés sur la souffrance physique, montré de façon de plus en plus explicite. L’apogée du genre (ou son bas-fonds selon vos préférences) étant possiblement les Human Centipede (2009) et A Serbian Film (2010), des films fait pour répugner et rien d’autre.
Les années 2010 ont vu une renaissance de l’horreur avec des films qui explorent des thèmes sociaux et psychologiques complexes. Des réalisateurs comme Jordan Peele avec Get Out (2017) et Ari Aster avec Héréditaire (2018) et Midsommar (2019) et ont introduit des éléments d’horreur psychologique et sociale, abordant des sujets comme le racisme, les traumatismes familiaux, et les dynamiques sociales.
Là pour rester
Le cinéma d’horreur est un genre en constante évolution, profondément ancré dans les peurs et les anxiétés humaines. Des premiers films gothiques aux récits modernes de terreur psychologique et sociale, l’horreur au cinéma reflète les peurs collectives de chaque époque. Ce genre continue de captiver les spectateurs par son exploration incessante des aspects les plus sombres de l’expérience humaine, prouvant que notre fascination pour l’horreur est aussi ancienne que l’humanité elle-même. C’est aussi un genre très payant qui ne nécessite pas de grandes vedettes bien que plusieurs de celles-ci aient commencé dans l’horreur notamment Johnny Depp, Kevin Bacon, Tom Hanks, Brad Pitt, George Clooney, Jennifer Connely, Demi Moore, Matthew McConaughey et Jennifer Aniston.