AS-TU ASSEZ DE MAGIC DANS TA « LIFE » ?
À peine passé les portes de l’hôtel que l’odeur musquée d’un pot-pourri ranci te pique les yeux. Troublant, considérant qu’ici on peut encore fumer à l’intérieur. Malgré l’odeur qui pue de l’œil, on passe les portes comme on sort de la confesse, soit avec bénédiction, à cause de la chaleur du dehors. Parfaite pour un bord de piscine, insupportable au milieu de l’asphalte, même en septembre. L’entrée en matière nous place directement au cœur de l’action du hall central, là où se trouve le plancher des tables de jeux, roulette, baccarat et cha-cha-cha. Ici, le capharnaüm bling-bling des machines à sous se mêle à la « musak » que crache des haut-parleurs qui font de leur mieux pour enterrer une version casio de I’m too sexy émanant du bar à karaoké qui se trouve dans le fond, adjacent au steakhouse, lui-même juste à côté du Tiki Bar donnant accès à la piscine. Au milieu de tout ça, dans un décor inspiré des films de cul des années 70, se dandine çà et là le personnel légèrement vêtu de l’horrible uniforme signature de cette institution érotico/bar sportif américaine. Bienvenue au Hooters Casino Hotel Las Vegas! Là où même les croupières sont en camisoles moulantes et en cameltoes.
Pour un séjour au cœur de l’action à bas prix dans la ville préférée du King, tu pouvais trouver pire que ce joyau avec pignon sur la célèbre Tropicana Avenue. Mais pas tant… J’en parle au passé car, oui, tu as manqué ton coup pour y aller maudit pas chanceux; l’hôtel à fait peau neuve depuis. Mais, en 2018, le vieux modèle existait encore.
À l’avant-dernier étage, une suite. Dans la suite, une gang de chums. Autour d’eux, les vestiges d’un effort louable pour recréer la scène d’ouverture du film Hangover, mais sans le tigre et avec un peu moins de dope. Je les crois pour le tigre. Affalés ici et là au milieu des corps morts, on retrouve un avocat qui s’est réveillé avec une cosplay de Sailor Moon endormie sur son « chest », un vendeur de machines à café qui s’est réveillé avec un tatouage du Petit Castor sur la cuisse, un ancien « bouncer » devenu propriétaire de bar qui s’est réveillé avec un vrai de vrai plumeau dans le cul et un professeur de salsa qui lui… ne s’est pas réveillé avant l’autre lendemain de veille.
Qu’ont en commun nos quatre amis? À part qu’ils sont vraisemblablement unis par de sombres secrets à porter jusqu’à leur tombe, ils sont également unis pour la vie par une passion commune qui les a amenés jusqu’ici, dans la ville du vice, pour participer aux championnats mondiaux du jeu Magic: The Gathering. Oui, monsieur. Juré, craché.
ATTENTION DE NE PAS JUGER TROP VITE LES PETITS ONGUENTS
Qu’on juge en bien, qu’on juge en mal, idéalement on se donnerait tous du mal pour juger en bien et on saurait tous comment bien juger le mal. Mais bon, ne faut pas se leurrer, personne n’est à l’abri d’un jugement un peu hâtif. Avant d’écrire ce billet, j’étais moi-même porté sur le préconçu face à la passion disproportionnée pour les mages de certains de mes contemporains. Mais, voilà, des amis qui jouent à Magic, comme les chums que je viens de te décrire, y en a tout pleins! Des gens de tous les horizons qui n’étaient pas nécessairement des prototypes du nerd au secondaire auquel on rattache souvent cette activité. C’est sûr qui en a des nerds qui jouent à ça. On les aime, les nerds. Mais, reste que le portait un peu plus « crunchy » que je viens de te décrire existe bel et bien. Avouons que ce n’est pas un tableau bucolique, youp-youp sur la rivière enchantée, comme dans une toile de Bob Ross, auquel on s’attendrait. Tiens, parlant du célèbre peintre frisé, fait intéressant : certains de ses majestueux paysages ont justement été utilisés pour une édition spéciale de carte Magic… Comme quoi touttt est dans touttt!
DE LA MAGIE DEPUIS LE PREMIER PAQUET
Inventé par Richard Garfield, le jeu Magic: The Gathering, est lancé en 1993 et connaît un succès immédiat. Garfield s’était inspiré des jeux Cosmic Encounter et Dungeons & Dragons, qu’il affectionnait particulièrement, voulant en créer une version plus « portative » avec un gameplay plus rapide et nécessitant un minimum d’équipement.
Avec au-delà de 20 milliards de cartes produites depuis et aujourd’hui plus de 50 millions de joueurs à travers le monde, pour des revenus annuels dépassant le milliard de grosses piastres par année, on ne parle pas d’un petit succès.
GROSSO MODO
Avant chaque partie, un joueur doit se monter un deck (20, 40 ou 60 cartes selon les modes de jeux) en usant de stratégie pour favoriser sa chance alors qu’il devra piger au hasard 7 cartes dans son paquet. C’est avec celles-ci qu’il ira au combat.
Il y a plus de 20 000 cartes uniques aux attributs différents, avec leurs forces et leurs faiblesses, sans parler des combinaisons et des interactions possibles entre ses différents éléments. Le jeu possède assurément un attrait pour les collectionneurs. Certaines cartes rares iront chercher dans les centaines de milliers de dollars.
Pour un joueur adulte, jouant de façon récréative depuis l’adolescence, il n’est pas surprenant d’avoir une collection dont la valeur de revente se situerait entre 10 000 $ et 20 000 $, selon l’investissement initial et un peu de chance, alors que beaucoup de cartes prennent de la valeur avec le temps.
POUR LE PLAISIR
Principalement, pour tous les joueurs avec qui j’ai parlé, ça se joue pour le plaisir. Il semble y avoir un véritable sentiment de communauté et de complicité entre les adeptes de cet univers de créatures mythiques et de charmes magiques.
Les amis se rassemblent pour jouer comme d’autres jouent au poker. La « game » a un aspect stratégique « chacun pour soi » qui fait que tu ne veux pas dévoiler ton plan. C’est donc un jeu propice pour prendre un petit verre, fumer un peu ou manger un jujube, pis jaser d’autre chose. Avec juste assez de politique et de magouille pour créer parfois un brin de tension dans l’air. Paraît qu’il peut parfois y avoir des petits conflits de mauvais perdants…
PRENDS TON GAZ ÉGAL
Oublions tout de suite vous expliquer les règlements. Les boutiques spécialisées vous diront : « Viens, on va t’apprendre, c’est facile… » Et il est vrai que c’est une communauté accueillante – il y a dans plusieurs endroits des joutes de la ligue officielle le vendredi –, mais, soyons sérieux, c’est un brin complexe pour s’y faire une tête. Comme c’est un jeu évolutif depuis 30 ans, face à « ceusses » qui « jousent » depuis longtemps, on est vite perdu dans un vocabulaire franglais de sortilèges et d’artefacts.
Si tu veux t’initier, tu devras y mettre le temps, mais je suis sûr que tu y trouveras ton compte si tu pognes la piqûre.
COMME UNE CURIOSITÉ
Pour le reste, je vous en parlais comme on parle d’un sport étrange pratiqué dans une contrée lointaine, soit avec curiosité, admiration et oui, peut-être aussi avec une certaine crainte de contagion.
Surtout, je vous en parlais pour casser les vieilles habitudes de jugement. Parmi vous, y en a peut-être qui ont niaisé ceux qui jouaient à ça quand on était jeune. À toi, je t’invite à changer d’angle si ce n’est pas déjà fait. On a tellement plus de fun dans la gang de ceux qui savent que ce n’est pas parce que tu ne comprends pas quelque chose ou que t’aimes pas ça, que c’est plate, pis que le monde qui eux aiment ça sont des caves.
Comme disait un fameux coureur des bois, c’est en apprenant davantage sur ce qui nous semble étrange qu’on en apprend sur ce qui nous rassemble.
Peu importe ta « game », l’idée, c’est de la jouer.