Disney : l’empire contre-attaqué
Ciblé par les Conservateurs américains, en guerre avec le gouverneur de la Floride (et peut-être président des États-Unis un jour), critiqué par ses fans et faisant face à de nouveaux défis financiers, le géant autrefois intouchable n’a plus le vent dans les voiles.
Naissance et croissance
Disney a célébré ses 100 ans le 16 octobre dernier. Fondée par Walt et Roy Disney, l’entreprise est née sous la forme d’un studio d’animation de courts-métrages alors que Walt n’avait que 22 ans et son frère 30. Leur premier personnage récurrent a été Oswald the Lucky Rabbit, une création en collaboration avec le studio Universal. Après une trentaine de courts-métrages produits, Disney perd les droits du personnage (Walt et Roy avaient mal lu le contrat), en plus de se faire marauder plusieurs de leurs employés. À partir de ce moment, Disney allait jalousement garder les droits de ses personnages.
Anecdote amusante sur Oswald : en 2006, le patron de Disney, Bob Iger, a initié un échange avec NBCUniversal permettant au commentateur sportif Al Michaels (alors chez Disney/ESPN) d’aller rejoindre John Madden chez NBC, en échange des droits d’Oswald! Si vous googlez Oswald, vous verrez qu’il y a une nette inspiration pour l’allure de Mickey Mouse, qui arrivera en 1928.
C’est en 1934 que Walt décida d’entreprendre un grand défi : réaliser le long-métrage d’animation. Il choisit le conte des frères Grimm Blanche-Neige comme histoire. Le projet nécessite trois années de travail acharné du studio et voit enfin le jour en 1937, un succès instantané qui devient rapidement le film ayant récolté le plus d’argent de l’Histoire, jusqu’à l’arrivée de Gone with the Wind.
Disney avait vu son avenir : les longs-métrages d’animation. Les années 40 ont été fastes pour le studio, qui a lancé Pinocchio, Fantasia, Dumbo et Bambi. Bien que considérés des classiques, le succès au box-office n’a pas été présent : la guerre battait son plein, il y a eu une grève des animateurs et un faible achalandage dans les salles.
Il a fallu attendre la décennie suivante pour que le succès revienne. Cendrillon a été un réel succès et c’est aussi en 1950 que Disney propulse son premier film avec acteur, Treasure Island. En 1955, Disney se lance dans le relativement nouveau medium de la télévision avec quelques séries. D’abord, Disneyland, série d’anthologie, puis The Mickey Mouse Club, mélange de variétés pour enfants et de dessins animés. Il y a eu plusieurs versions du Mickey Mouse Club et la plus récente, de 1989 à 1994, a vu passer plusieurs futures vedettes, dont Britney Spears, Justin Timberlake, Christina Aguilera, Ryan Gosling et Keri Russell.
Jamais satisfait de ce qu’il avait accompli, Walt caressait un autre rêve au début des années 50 : créer un parc d’attractions jamais vu. Disneyland (dont le nom original devait être Mickey Mouse Park) a été inauguré en 1955 en Californie et a été un grand succès dès la première année, accueillant 20 000 visiteurs par jour.
Un peu moins de 20 ans plus tard, en 1971, la côte est américaine obtient son propre parc, baptisé Walt Disney World par Roy Disney, en souvenir de son frère décédé en 1966 à l’âge de 65 ans seulement. Plus gros que Disneyland, le parc de Floride est le plus visité au monde chaque année.
L’héritage Disney
L’année 1971 est aussi celle du décès de Roy Disney. Un trio d’employés de longue date, Card Walker, Donn Tatum et Ron Miller, reprend les rênes de l’entreprise. En se fiant sur leur expérience, sur leurs connaissances des frères Disney et sur des plans que Walt avait laissés, ils poursuivent l’œuvre de Disney pendant plusieurs années.
La décennie 80 a vu une baisse de l’intérêt des films pour enfants et une croissance du marché des films pour ados et adultes. Ne voulant pas trahir l’ADN familial de Disney, un studio parallèle voit le jour en 1984, Touchstone Pictures. Avec ce studio, Disney pouvait se lancer dans un autre type de films. La première production officielle a été la comédie fantastique Splash, méga succès commercial ayant aussi lancé la carrière d’un certain Tom Hanks.
On doit à Touchstone la distribution de la plupart des blockbusters de Jerry Bruckheimer (Con Air, Armageddon, Gone in 60 Seconds) en plus de succès, tels que Pretty Woman, Good Morning Vietnam et Dead Poets Society.
Fin des années 80 et début 90, l’animation chez Disney était de retour en force, d’abord grâce à l’audacieux Who Framed Roger Rabbit, mêlant animation et acteurs, puis avec une suite de succès incroyables, dont Beauty & the Beast, Aladdin et The Lion King, tous lancés en-dedans de cinq ans!
Le temps des acquisitions
À partir de la fin des années 90, la compagnie Disney commence à préparer l’avenir. En 1995, elle achète le réseau américain ABC (entente incluant le réseau sportif ESPN).
En 2006 le nouveau patron Bob Iger décide d’acheter un important partenaire de Disney, la firme d’animation Pixar, lancée par Steve Jobs d’Apple. La somme est faramineuse : 7,4 milliards $ US! Trois ans plus tard, c’est Marvel, la compagnie de superhéros, que Disney achète pour 4,2 milliards $ US. Encore trois ans plus tard (il y a une tendance, on dirait bien), Disney, sous Iger, annonce l’achat de Lucasfilm de George Lucas pour 4,05 milliards $ US. Le monde appartient maintenant à Disney, incluant Star Wars, Indiana Jones, Toy Story, les Avengers et bien plus.
Résultat : depuis 2013, le top 10 du box-office domestique chaque année appartient à Disney de 40 à 60 %!
Mais ce n’était pas fini; en 2019, Disney fait sa plus grosse acquisition depuis sa naissance : on achète les actifs de 21st Century Fox de Rupert Murdoch pour… 71,3 milliards $ US!
L’échec cuisant du parc Galaxy Starcruiser
Annoncé en grande pompe en 2017, l’ambitieux projet hôtelier Star Wars: Galactic Starcruiser a eu le malheur d’être annoncé avant la pandémie. Mélange inédit de complexe hôtelier, de théâtre interactif et de grandeur nature dans l’univers de la guerre des étoiles, Galactic Starcruiser visait offrir du jamais-vu pour les fans de la saga : la chance de participer à une aventure de Star Wars « en vrai ». Mais pas à n’importe quel prix : entre 1200 $ et 1500 $ US par personne, par nuit, et ce, pour deux nuits obligatoires! Même si le taux de satisfaction des premiers participants était très élevé, Disney s’est rapidement mis à offrir des rabais pour sa nouvelle expérience, ce qui n’est jamais un bon signe. De plus, contrairement aux manèges traditionnels, Galactic Starcruiser n’était pas une expérience que les gens ressentaient nécessairement le besoin de répéter. Résultat : fermeture du complexe et mise à pied des centaines d’acteurs à l’automne 2023, un peu plus d’un an après l’ouverture. Un rare flop de presque 1 milliard $ US pour Disney.
La guerre floridienne
Une guerre ouverte et fort hostile oppose actuellement Disney au gouverneur de la Floride et compétiteur de Trump chez les Républicains, Ron DeSantis. Tout a commencé en 2022, avant le retour de Bob Iger comme patron intérimaire chez Disney. DeSantis a proposé et mis en vigueur le projet de loi 1557, renommée par ses détracteurs « Don’t say gay ». Celle-ci interdit aux enseignants de Floride de discuter de l’identité de genre ou de l’orientation sexuelle avec les élèves d’écoles primaires. Le prédécesseur de Bob Iger, Bob Chapek, s’était prononcé contre ce projet de loi.
Peu après, le Parlement de Floride adoptait un projet de loi supprimant un statut favorable dont bénéficiait le parc à thèmes Disney World, qui lui offrait une autonomie importante en matière de gestion locale et l’exemptait d’une batterie de réglementations. Les attaques se poursuivent depuis, DeSantis menaçant, entre autres choses, d’imposer de nouvelles taxes à Disney et d’installer des péages sur les routes menant au parc d’attraction.
Les revenus en baisse
Financièrement aussi, les choses vont moins bien pour Disney. Si l’engouement pour le service Disney+ a été très fort au lancement en 2019, le nombre d’utilisateur est en baisse constante depuis 2023. Si son sommet de l’été 2022 lui a permis de surpasser Netflix avec 221 millions d’abonnés, un an plus tard, Disney+ en avait perdu 80 millions, plus du tiers.
La pandémie a évidemment été dévastatrice pour les divers parcs de Disney (plus d’une douzaine dans le monde). Pis encore pour l’avenir de la compagnie, il ne semble plus y avoir de valeurs sûres chez le public. Plusieurs des récents films de Marvel ont sous-performé au guichet, notamment Eternals, Ant-Man and the Wasp: Quantumania et Shang-Chi. Même le dernier Indiana Jones n’a pas atteint le succès anticipé en Amérique du Nord.
L’appréciation des fans pour les (trop?) nombreuses séries de l’univers Star Wars et Marvel est aussi en chute libre. Ce qui mènera assurément à d’autres désabonnements du service Disney+.
Les prochaines années risquent d’être plus difficiles qu’autre chose pour la méga-corporation.