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MANGA!

Chroniqueur Patrick Marleau
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Au début des années 2000, dans mon ancienne vie de libraire, j’ai vécu de près le phénomène grandissant du « manga ». Choc de générations, je snobais cette étrange bande dessinée noire et blanche de petit format. Traditionaliste, je préférais lire mes comics américains ou encore la bédé « franco-belge ». J’étais persuadé que leur popularité durerait quelques années et que la mode finirait par passer. Je ne pouvais pas avoir eu plus tort!

Vingt ans plus tard, le manga fait toujours partie du paysage du livre et, s’il est quelque peu en déclin ces dernières années, il demeure encore populaire auprès d’une frange de lecteurs. Après Son Goku (Dragon Ball), Yûgi Muto (Yu-Gi-Oh!) et Naruto, il suffit d’avoir à nouveau un personnage prêt à le propulser auprès d’un plus large public.

Les origines du manga

Les Japonais ont une longue tradition de l’art visuel. Le terme manga, traduit littéralement par « image dérisoire » ou « dessin grotesque », est apparu aussi loin qu’à la fin du 18e siècle pour qualifier des œuvres graphiques, généralement des croquis sous forme d’estampes gravées de paysages ou de la vie quotidienne de ses habitants. Son sens pour signifier « bande dessinée » provient du début des années 1900 alors que ce médium est introduit au Japon. À cette époque, on a droit à un métissage des arts visuels alors que des Occidentaux viennent enseigner le dessin. Certains de ses artistes vont comment à publier des journaux ou des magazines satiriques dans lesquels seront publiées des caricatures ou de courtes histoires de quelques cases, comme on retrouvait dans la presse d’ici.

Leurs étudiants s’intéressent rapidement à cette forme d’art. C’est à l’artiste Rakuten Kitazawa que l’on doit le premier manga désigné comme tel. À partir de 1902, il publie des histoires graphiques dans les pages illustrées du supplément du journal Jiji Shinpô, qui deviendra rapidement Jiji Manga. Kitazawa crée ensuite ses propres magazines illustrés, dont certains sont destinés entièrement aux enfants, qui connaissent un énorme succès. En 1914, un concurrent lance Shônen Club (Le Club des garçons), puis dans les années 20, Shôjo Club (Le Club des filles) et Yônen Club (Le Club des jeunes enfants), toutes des publications qui vont marquer longtemps le marché du manga.

Astro et les codes modernes du manga

La période d’après-guerre voit l’arrivée de la culture américaine en sol nippon, par les comic strips et les films d’animation. Influencé par Walt Disney, Osamu Tezuka révolutionne le genre et il donne naissance au manga moderne en y introduisant les codes : mouvement par des effets graphiques, comme des traits ou des onomatopées, et l’alternance des cadrages comme au cinéma (ce qu’on retrouve déjà dans les comic books et la bédé franco-belge). D’autres caractéristiques des mangas sont les grands yeux des personnages, qui permettent l’expressivité du visage ainsi que leurs traits occidentaux.

Tezuka est à l’origine de l’une des séries fondatrices du manga, œuvre que ma génération (celles des enfants des années 80) connaît bien : Astro, le petit robot. Publiée entre 1952 et 1968, la série à propos d’un jeune robot fabriqué par un scientifique afin de combler la perte de son garçon décédé rencontre un grand succès. Celui-ci encourage même Tezuka à produire, en 1963, une première série d’animation mettant en vedette son personnage. Au Québec, nous allons connaître la deuxième version lancée en 1980. Le mariage entre bande dessinée et animation (ou « anime », comme le désignent les Japonais) va se solidifier, contribuant à l’essor économique du manga dans les années 60.

Avec ses œuvres, Tezuka influence une génération d’artistes qui créent une bande dessinée plus sombre qui va également se répercuter dans l’animation. Au Japon, les lecteurs ne considèrent pas la bande dessinée enfantine. Avant-gardiste, celle-ci ne se gêne pas à aborder des thèmes plus matures.

Les années 70 voient la naissance de plusieurs séries pour filles. L’adaptation en « anime » de l’une d’entre elles, Candy Candy, connaîtra un immense succès tant au Québec qu’en France, premier pays occidental à s’ouvrir à ce type de culture avec la diffusion de plusieurs séries animées qui vont ensuite traverser chez nous.

Akira et la naissance du phénomène manga en occident

Dans les années 80, des éditeurs français tentent de traduire quelques œuvres, mais sans grand succès. Bien que le grand public consomme les séries télévisées, comme Goldorak, Albator ou Candy, il s’intéresse moins à la bande dessinée japonaise.

C’est seulement à la suite de la diffusion du film Akira en salles, qui connaît un certain succès, que l’éditeur français Glénat décide, en 1991, de traduire et de publier ce manga culte de Katsuhiro Ôtomo. Par contre, la version proposée se colle plus à la bande dessinée traditionnelle franco-belge, soit en couleurs et en format cartonné rigide. La publication est un succès commercial et pousse Glénat à poursuivre l’aventure. Parmi leurs nouvelles séries, l’une deviendra un véritable phénomène culturel : Dragon Ball. Créé par Akira Toriyama en 1984, la bande dessinée raconte les aventures de Son Goku, depuis son enfance jusqu’à l’âge adulte, alors qu’il part à la recherche de boules de cristal magiques. Glénat débute la publication en France à partir de 1993. Cependant, la série est déjà fort connue là-bas alors que « l’anime » est diffusée depuis 1988. Les jeunes se lancent donc dans le manga qui, au sommet de sa popularité, se vend 120 000 exemplaires à la nouveauté!

La France, deuxième pays consommateur de manga

Alors qu’aux États-Unis on publie des mangas au compte-goutte, le succès de l’édition française de Dragon Ball voit l’explosion de parutions de plusieurs séries. À la fin des années 90, plus d’une cinquantaine de séries sortent sur le marché par le biais de plusieurs éditeurs, qui cherchent tous à répéter le phénomène Dragon Ball. Parmi les plus populaires, on y retrouve deux séries pour filles : Sailor Moon et Cardcaptor Sakura.

Au tournant des années 2000, si les ventes de Dragon Ball se maintiennent, une nouvelle série atteint des ventes encore plus impressionnantes : Yu-Gi-Oh!. Ce manga de Kazuki Takahashi met en scène un ado maître d’un jeu de type Magic: The Gathering, dont le corps est habité par l’esprit d’un ancien pharaon. Avec ses 200 000 exemplaires à la nouveauté, la série devient même une franchise qui englobe plusieurs médiums au-delà du livre, comme les jeux vidéo et, surtout, le très lucratif marché de la carte à collectionner!

En 2006, on assiste à l’explosion des ventes du manga sur le marché du livre français. Les mangas représentent 26 % du chiffre d’affaires de la bande dessinée et 10 séries concentrent 50 % des ventes. Du jamais-vu! Avec plus de 13 millions d’exemplaires vendus, la France est le plus gros consommateur de mangas au monde après le Japon et devant les États-Unis. Qu’en est-il au Québec? Bien que la bande dessinée demeure un secteur plus marginal ici, leur popularité est indéniable. Et, ce phénomène, on le doit en grande partie au personnage de Naruto, dont le succès envahit la planète.

Le phénomène Naruto

Créé en 1999 par Masashi Kishimoto, Naruto trône au sommet des ventes au Japon. La traduction française atterrit en 2002, mais c’est lors de la diffusion de son adaptation en animation en 2006 que les ventes explosent. Une grande portion de jeunes regarde et lise avec dévotion les aventures de ce jeune préadolescent orphelin un peu cancre qui cherche à devenir un puissant ninja. Avec plus de 250 millions de copies, Naruto est le troisième manga le plus vendu dans le monde (après One Piece et Dragon Ball). À noter que la série One Piece est rendue à 98 exemplaires et elle est toujours en cours de publication, alors que Naruto s’est arrêtée à 72 tomes et Dragon Ball, 42.

Un type de manga controversé

La popularité du manga met les réflecteurs sur un de ses sous-genres, le hentai, qui signifie « transformation » ou « métamorphose » en japonais. En Occident, on utilise ce terme pour désigner des mangas et des « animes » à caractères pornographiques. Dans plusieurs de ces séries, la sexualité des humains se mélange à toutes sortes de créatures fantastiques. Toutefois, les critiques soulignent les personnages aux allures d’enfant et au physique immature. Le débat est soulevé si ces bandes dessinées sont de la pornographie juvénile. Chose certaine, les parents doivent faire excessivement attention lors de l’achat de manga. Il ne faut pas que se fier à la couverture de l’album!

Un léger déclin

Après une croissance fulgurante et toujours en hausse depuis 10 ans, on assiste à une baisse des parts du marché dans les années 2010, qui s’explique aisément : la plupart des grosses séries sont arrivées à terme, ou bien le rythme de certaines a ralenti à une ou à deux publications annuelles alors qu’auparavant, il n’était pas rare d’avoir quatre à cinq parutions des gros vendeurs. Pour les éditeurs, c’était la manne! Malgré tout, les mangas représentent toujours environ 40 % des ventes des bandes dessinées en France.

Deuxième facteur : la difficulté de renouveler ses lecteurs alors que plusieurs se rebutent à débuter des séries avec autant de volumes. Prenons par exemple celle de Naruto. À 12,25 $ par livre, il faudra investir près de 900 $ pour acquérir la collection entière! De quoi freiner les portefeuilles des parents!

Pourquoi le succès du manga?

Comment expliquer ce phénomène de l’édition? Son format compact idéal à trimballer et son prix plus bas comparé à une bande dessinée traditionnelle ne sont pas à négliger. Il y a aussi le rythme de parution soutenu (plusieurs volumes par année) qui donnait un avant-goût de cette présente ère du « binge-watching ». Évidemment, il y a la popularité des séries télés qui exposent les jeunes à ces univers. Et l’avènement d’Internet a permis aux amateurs d’avoir accès à du contenu qui n’est pas toujours disponible ici, bien que la plateforme de diffusion Netflix a compris son importance en offrant une grande variété de productions. Enfin, il y a un élément très important qu’il faut prendre en compte : celui d’être attiré par ce que les plus vieux ne connaissent pas. Chaque génération a une attirance envers un phénomène « nouveau ». Vous vous rappelez la musique rock n’roll? Les jeux vidéo?

Enfin, la richesse du monde du manga est qu’il ne se limite pas qu’à la bande dessinée jeunesse. Elle offre un grand éventail pour tous les âges, et ce, dans tous les genres. Je dois donc reconnaître que son importance et sa popularité sont indéniables et que le manga est ici pour de bon. Maintenant, il faut juste que je me donne la peine d’en essayer la lecture. Et je confesse que les superbes récentes adaptations maintes fois primées de Gou Tanabe, des œuvres de H.P. Lovecraft, me font de l’œil!

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